mercredi 31 octobre 2012

It grows on you

Avec mon goût prononcé pour la contradiction, c'est pour un post on ne peut plus français que je balance une expression toute anglosaxonne. Il n'y a pas réellement de traduction pour "It grows on you" qu'on utilise pas mal pour la musique. Le Harrap's traduit "This music grows on you" par "plus on écoute cette musique, plus on l'aime". Ce qui prouve bien que c'est intraduisible puisque Le plus ceci... le plus cela peut être traduit en anglais par The more this...the more that. Littéralement, on pourrait dire que "ca pousse sur soi", ce qui me plaît d'avantage, même si ce n'est pas très joli. Mais l'image est là : une petite graine qui n'en finit plus de grandir et de donner d'autres ramifications. La première fois que j'ai entendu, puisque c'est cela dont il s'agit, le nouveau titre de Françoise Hardy, Pourquoi vous, j'ai été déçu.



Quelque chose ne m'allait pas dans ce piano qui surligne la mélodie de la voix ; un truc un peu romantique, un peu précieux, un peu gnangnan dont je rejetais immédiatement la faute sur Calogero, le compositeur de la musique que je n'ai jamais particulièrement porté dans mon coeur. Or, j'oubliais un peu vite que c'est ce même Calogero, déjà, qui lui avait signé Noir sur blanc, son excellent single sorti il y a deux ans et qui avait entraîné chez moi l'impression inverse, c'est à dire une attraction immédiate. J'ignorais encore que la graine était plantée. Je pense que cette graine, c'est la voix de Françoise Hardy d'abord. Une voix si particulière que Gabriel Yared, qui fut son producteur fin 70's, début 80's la comparait à la tonalité totalement unique et particulière d'un instrument de musique ; comme il y avait le violon, le saxo ou le piano, il y avait la Françoise Hardy. Avant d'aller plus loin, je tiens à préciser que je parle ici de l'artiste, et passerais donc volontairement sous silence les déclarations, voire la personnalité de la femme qui ne colle pas avec l'image que j'ai d'elle. Ca ne m'empêche pas de lire ses interviews qui sont toujours très intéressantes quand elle parle de musique. Elle a toujours eu un regard assez lucide sur son travail estimant, par exemple, La question, album méconnu de 1971 comme son meilleur album, ce qu'il est sans conteste, puisque, sorti la même année que L'histoire de Melody Nelson, il n'a absolument rien à envier au chef d'oeuvre de Gainsbourg.



Si son regard est lucide, il se fait parfois vache sur son travail qu'elle a tendance à minorer. Notamment vis à vis de celui de Dutronc, qui aura marqué aussi bien sa vie que son oeuvre puisque quiconque écoute les textes d'Hardy peut y lire tous les espoirs et naufrages de l'amour. Elle disait donc récemment qu'elle ne pouvait, elle, que s'améliorer, étant donné la faiblesse de ses productions, quand Dutronc, lui, avait tout dit dans les premières. Elle a au moins raison sur un point qui est que Dutronc a tout donné entre 1966 et 1970. Mais il vit, depuis, sur cette image parfaite, les chroniqueurs indulgents oubliant la médiocrité de tout ce qui a suivi. Toutefois c'est une erreur d'Hardy d'estimer sa production inférieure à celle de son ex. Elle lui est bien supérieure au sens où elle a su tout au long de ces années (50 ans de carrière quand même) se réinventer ou se voire réinventée toujours avec la même classe. Non seulement Françoise Hardy est l'un des meilleurs auteurs que compte la Chanson Française mais, c'est un atout qu'elle ne prend pas en compte peut-être parce qu'elle ne le maîtrise pas, Françoise Hardy est une muse. Pour Jean-Marie Périer qui lui doit quelques unes de ses meilleurs photos mais, surtout, pour tous les très nombreux artistes qui ont travaillé pour ou avec elle. Michel Berger, bien sûr,  pour Message personnel, mais aussi Louis Chedid, Benjamin Biolay, Rodolphe Burger, Michel Fugain, Pierre Groscolas, Catherine Lara, Etienne Daho, j'en passe et plein d'autres. J'ai laissé notamment de côté, mais c'était fait exprès, sa collaboration avec Michel Jonasz qui lui signe un texte aussi magnifique que désespéré sur une musique somptueuse de Gabriel Yared pour l'un des summums de sa carrière (mais attention, à n'écouter que si vous êtes en grande forme, sinon vous viendrez pas vous plaindre, vous êtes prévenus !) au titre aussi rigolo que la chanson : Que tu m'enterres.




Et Souchon (paroles et musique) qui a su viser si juste quand il lui a écrit C'est bien moi, qui résume tellement bien sa relation avec Dutronc.




Et tout au cours de ces années, elle a toujours eu l'oreille pour la bonne mélodie, une notion à laquelle elle tient bien plus que l'idée de chapelle. D'où Calogero dont la puissance mélodique m'avait quelque peu échappé :  faut dire qu'il le cherche aussi à arranger ses chansons comme des bouses. Ce n'est clairement pas le cas de Pourquoi vous, qui annonce le nouvel album d'Hardy. Si vous êtes arrivé jusqu'ici et ne vous êtes attardés qu'un instant seulement, comme je l'ai fait initialement, sur cette chanson, retournez-y pour voir. Ecoutez une fois en entier puis laissez décanter quelques jours. Et vous verrez cette petite mélodie toute con, cette voix aussi fragile qu'inimitable, la guitare délicate qui précède de peu les cordes qui arrivent après une minute, tout ça donne un petit gout de revenez-y, ce qui est une traduction pas si mal de "It grows on you".

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