En ouvrant Libération ce matin, je suis tombé sur deux pages sur le nouvel album de Raphaël et n'ai pu m'empêcher de pousser un "Oh non ! Pas Raphaël". Depuis quand Raphaël est-il devenu cool ? Attention, hein, c'est pas le pire : quand on est programmateur à France Bleu (oui, sachons nommer les coupables), Raphaël, c'est presque une bulle de bonheur quand on doit caser dans la journée les titres de Michel Sardou, Chimène Badi ou la soupe infâme cuisinée par les so called comédies musicales françaises. On s'étonnera, après, que l'industrie du disque aille mal ; allez à Broadway, vous comprendrez ce que c'est qu'une comédie musicale ! Il n'empêche qu'une fois que vous n'êtes plus programmateur à France Bleu, oublier Sur la route ou Caravane et le timbre nasillard de leur créateur est un bonheur. Or donc, ce serait cool d'écouter Raphaël aujourd'hui. Bon. Je suis donc allé, curieux, écouter Manager, single annonciateur de l'album Super Welter qui sort dans quelques jours. Et ça l'a pas fait du tout. Désolé, là, je vois pas, y a comme un mystère qui m'échappe. Perso, je me dis que si Raphaël n'avait pas fait filmer sa tournée par Jacques Audiard, réalisateur qui, lui, "a la carte", comme on dit, il n'aurait pas de telles faveurs de la presse autorisée à vous dire ce qui est ou pas de bon goût. Mais je peux me tromper et proclamer exactement l'inverse dans une semaine, une fois que j'aurais écouté l'album ? Je revendique le droit à la contradiction la plus totale ; elle fait partie de mon paysage musical. Il n'empêche que Raphaël part avec un à priori défavorable.
On a tous des idées préconçues. Sur les choses, les gens et donc les artistes. Quitte à passer à côté de très jolies choses. Tenez, par exemple, si je vous dis R'n'b, vous allez tous penser à ce truc nauséabond qui coule des radios FM à destination des jeunes (les pauvres !) et vous n'aurez pas totalement tort, le pensant longtemps moi-même. Et si on voyait ça juste comme un moyen d'expression pour certains artistes. Je veux dire que j'aurais vingt ans et serais artiste aujourd'hui, je ne sais pas si, en vivant aux Etats Unis par exemple, je ne ferais pas moi même du R'n'b. Parce que le R'n'b serait alors comme une seconde nature pour moi, un truc dans lequel j'aurais grandi et qui serait, en quelque sorte, ma grammaire, ma langue maternelle, celle allant de soit dans mon mode d'expression . Est-ce pour autant que je serais un mauvais artiste ? Non. The Weeknd, jeune Canadien de 22 ans, est venu apporter de l'eau à mon moulin via la publication de trois albums entre l'année dernière et cette année (qui seront d'ailleurs regroupés sous l'appellation Trilogy à paraître début nobembre). Ses morceaux ont immédiatement envahi les blogs du monde entier, mais c'est le cas de bien d'autres artistes R'n'B et le fait qu'il ait mis ses albums en téléchargement gratuit sur son site y a sans doute largement contribué (maintenant c'est trop tard, fallait vous y prendre avant). Il n'empêche que je suis tombé sur cette musique "à priori" pas à mon goût et que, via le sample malin du Happy House de Siouxsie & the Banshees, je suis rentré dans cet univers (tous les albums étant recommandables).
Ceci étant dit, je ne connaissais pas The Weeknd avant de l'écouter et n'émettais des réserves que sur son style musical. Les préjugés ne seraient-ils pas plus difficiles à combattre s'ils portaient précisément sur l'artiste. Il m'a fallu, dans les années 90, passer cette barrière, que certains croient, hélas, infranchissable, pour jeter une oreille à l'album Bevillacqua de Christophe. Pour moi, Christophe, c'était" Allo Stéphanie / Ne raccroche pas" et "Avec les filles/J'ai un succès fou/ Ouh Ouh Ouh". Ouille ouille ouille. Soient les pathétiques gesticulations d'un chanteur des sixties pour rester au top dans les années 80. Et on avait beau me dire que Le beau bizarre, album paru dans les années 70, était génial, je voyais pas trop le truc dans Les mots bleus ou Señorita, sans doute aussi, parce que je travaillais à Radio France en région (l'ancêtre encore fréquentable des France Bleu) et devais me le coltiner une à deux fois par semaine. J'ajouterais qu'en plus des daubes suscitées (parce que faut pas déconner non plus, on va pas tout réévaluer), Christophe est aussi responsable (il faut dénoncer l'insupportable) de l'épuisante scie Comme une boule de flipper de Corinne Charby dont il suffit d'écrire le titre pour que la chanson reste gravée dans votre tête pour la journée (et si c'est pas le cas, tenez, cadeau). Bref, ça partait mal. Ce qui m'avait intrigué dans l'article que j'avais lu alors, c'était que Christophe avait bossé avec quelques musiciens de la scène Techno, ce qui m'avait poussé à écouter Bevilacqua. Et là, grosse claque : c'était pour moi un des meilleurs albums français de l'année 96. Maintenant, je vais être parfaitement honnête, je ne trouve pas que l'album ait entièrement bien vieilli. Mais c'est le cas de pas mal de sons de synthés de ces années-là. Et il n'empêche que J't'aime à l'envers reste pour moi une petite merveille où Christophe parle d'inverser sa voix, ce qui se produit à la fin du titre mais l'étrangeté de sa voix et de son interprétation, ce côté ovni (décuplé sur la partie où il parle d"un mec qui s'appelait Cannelle/Bizarre pour un mec") font que je ne cesse de me demander si Christophe a chanté l'intégrale de la chanson à l'endroit pour renverser la fin à l'envers, ou bien le contraire. Et vous n'avez qu'à écouter si vous trouvez ma phrase trop longue ou trop compliquée.
Personne n'a écouté Bevilacqua. Sans doute parce que l'ancien public du chanteur était trop déconcerté, et que ceux auxquels il aurait pu parler n'ont pas daigné l'entendre. Là où l'histoire se termine bien pour Christophe, c'est que cinq ans plus tard, avec Comm'si la terre penchait, il a commis plus ou moins le même album (en moins bien, pour ce qui me concerne) avec un tout autre succès, et un statut culte qui ne s'est pas démenti depuis.
Mais comme on n'est pas au pays des Bisounours, ça ne se passe pas forcément comme ça. Cette même année 1996 sort Chaque jour est un long chemin qui est l'inverse de l'album de Christophe, soit un album très acoustique, folk, et signé... Elsa. Oui, Elsa, la nièce de Marlène Jobert, T'en va pas, Quelque chose dans mon coeur et Le beau roman d'amitié avec Glen Medeiros. Aargh ! Sauf qu'Elsa, en 96, a vingt-trois ans et ne se voit pas, elle a raison, continuer à incarner les parfaites petites filles qu'elle n'est plus. Elle veut montrer qu'elle a grandi et qu'elle écoute Joni Mitchell. Grave erreur quand on sait qu'en France, il n'y a qu'un Johnny et non une Joni (c'est peut-être d'ailleurs là un de nos plus grands problèmes). Elle sort donc cet album qu'il était encore possible, jusqu'à il y a peu, de se procurer dans n'importe quelle brocante ou solderie tant son échec fut total. Pour vous poster la chanson qui l'illustre, il m'a d'ailleurs fallu aller la charger sur le Web. Je ne dis pas que tout l'album passe aujourd'hui encore en boucle entre mes oreilles. En revanche, j'ai du écouter un demi milliard de fois (je vis pas avec un gars du Sud pour rien) Les Affaires de Franck et je trouve cette chanson sublimissime.
Aujourd'hui encore, il faut que je me batte contre mes préjugés. Je vais, par exemple, avoir beaucoup, beaucoup, beaucoup de mal à écouter le prochain album de Carla Bruni. Et j'aurais sans doute encore plus de mal à le trouver bien (s'il l'est bien entendu, mais faut pas déconner non plus). C'est dommage car c'est sans doute se priver de certains plaisirs. Pourtant, je sais qu'ils sont bien là, ces terribles préjugés, inscrits dans notre histoire personnelle comme dans notre histoire commune. Je veux dire par là que je ne suis pas le seul à jeter l'omerta sur Elsa ou Christophe. On décide qu'un tel ou qu'un autre n'en vaut pas la peine. Et on, c'est toi, c'est moi, c'est nous. C'est beau comme une chanson de Corinne Charby, ce que je viens d'écrire. Bref. J'aimerais m'arrêter un instant (et m'arrêter tout court) sur une dernière victime de ce rejet collectif. Basé sur le fait qu'il a une tête de gland (ce qui est vrai), que c'est pas un musicien (c'est un DJ, faut pas pousser) et qu'il a commis de nombreuses bouses (c'est vrai aussi), la France prend avec des pincettes (ou une pince à linge sur le nez) le cas David Guetta. Français, je suis, mais con, je ne reste pas. D'abord parce que j'ai raffolé d'Acapella de Kelis sorti il y a deux ans avant même de savoir que Guetta en était responsable. C'est précisément quand j'ai su que c'était lui qui était derrière cette bombe que j'ai commencé à me poser des questions. Car, après tout, si Guetta n'est pas à proprement parlé un compositeurs des plus subtils, il a quand même un don pour les titres foutrement efficaces. Sinon pourquoi ça marcherait PARTOUT dans le monde, hein ? Pour sa tête de burne ? Et puis Sia, l'immense Sia qui chante avec lui deux titres, elle est devenue bête d'un seul coup ? Ben, non. D'ailleurs, en tombant plusieurs fois sur des radios de djeunz (oui, j'écoute les radios de djeunz parfois pour mieux identifier l'ennemi) sur l'intro de Titanium (et avant que la chanson ne devienne un tube immédiatement identifiable donc), je me suis pris à penser : "Tiens, c'est pas mal, ça". Et oui. Et c'est David Guetta. Avec Sia certes, mais David Guetta quand même. Oui, les préjugés ont la vie dure. Dure d'oreille, parfois.
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