jeudi 31 janvier 2013

Le charme et la grâce

A me relire, j'ai remarqué que j'écrivais souvent, pour un titre, que j'étais (tombé) sous le charme. Pour être précis, je m'en aperçois dès l'écriture. Souvent il me faut trouver des synonymes ou des paraphrases quand bien souvent le mot juste, celui dont on est à la recherche quand on écrit, est celui-là : le charme. Et il y a une raison à cela : le premier sens du mot charme, c'est la formule magique, dérivé du latin carmen pour "chant magique". A ne pas confondre avec Carmel dont le chant était pourtant magique en 1987 quand elle reprenait en live la chanson titre de son album paru l'année précédente, The Falling.



Tout ça relevait plutôt du hasard puisque avant de commencer, je ne savais pas que j'allais tomber sur "chant magique", ni sur carmen, et par extension, Carmel. Mais il n'y a pas de hasard car mon but était également, comme énoncé dans le titre, de vous parler de la grâce. La grâce dont le sens éthymologique est l'aide de Dieu. Or Dieu pour moi, c'est un peu comme la magie, un truc un peu extraordinaire qu'on a du mal à expliquer. Durant les années 80 et le temps de trois albums, Carmel, qu'on réduit souvent à tort à sa seule chanteuse, Carmel McCourt, a eu la grâce (du moins si l'on omet l'innommable duo avec Johnny Hallyday, J'oublierais ton nom dont il vaut mieux, comme le laisse entendre le titre oublier jusqu'au nom), le temps de trois très beaux albums.

 
Là vous me prenez en flagrant délit de mensonge, mensonge par omission (décidément, on y revient), vu que j'ai délibérément mis de côté Everybody's got a little... soul, album paru en 1987, soit un peu trop vite après The Falling et sensé, j'imagine, capitaliser sur l'énorme succès de Sally, ce qu'il ne fit pas du tout, allant même jusqu'à faire de l'ombre au très beau Set me free, qu'on n'écouta, du coup donc, pas assez. Puis on n'écouta plus du tout Carmel car il n'y avait plus grand chose (plus rien ?) à écouter. Je pourrais vous dire que Carmel avait sans doute raté le train du trip hop qu'elle préfigurait ; réécoutez The Falling par exemple, cette voix soul, ces beats un peu au ralenti, et ces nappes de synthé froid et vous verrez qu'on n'est pas si loin que ça du compte. Mais je préfère dire que Carmel avait perdu la grâce. Je n'étais plus sous le charme. Revenons à ce mot puisque je le réservais à la base pour quelqu'un d'autre. En fait, quand je me suis dit que j'allais écrire sur le charme, c'est parce que j'avais aussi bien la chanson parfaite pour parler du sujet que la personne parfaite qui, cerise sur le gâteau, interprète la dite chanson : soit donc Jean-Louis Murat chantant Le charme.



C'est une chanson assez peu connue de l'Auvergnat, qu'il faut aller chercher sur la bande originale du film Mademoiselle Personne, un film qui n'existe pas, ou, en tout cas, que personne n'a jamais vu. Tourné par une jeune réalisatrice, Pascal Bailly, sur la tournée 94 de Murat, ce devait être une fiction autour de cette tournée, avec Murat dans son propre rôle, et Elodie Bouchez dans celui de la fan. Je sais aussi que Romain Duris était au générique. Malgré tout ça donc, Mademoiselle Personne n'existe que via sa bande originale offerte en CD bonus avec le premier live de Murat paru en 1995. Autant de petits détails que je connais parce qu'archi fan de Murat. Et être fan, c'est être sous le charme. Ca ne s'explique pas. Ou mal. Pourquoi lui plus qu'un autre ? Bon d'accord, parce qu'il fait de la bonne musique est un bon début. Mais ce n'est pas tout. Ce n'est pas, par exemple, ce qui vous fait pleurer quand vous voyez, comme je l'écrivais ici, le bonhomme en live ; le spectacle a beau être réjouissant sur scène, quand même ! Un peu de retenue ! Sauf que vous n'en avez précisément plus aucune : vous êtes envoûté. A la merci d'un sort qui vous enlève tout jugement critique, toute bonne foi, un truc qui va au delà de la simple écoute de bonne musique. Un lien surnaturel qui fait que tout ce qui touche l'idole et tout ce que touche l'idole est sacré. Et donc ça n'aide pas si, de manière objective, le fruit de votre amour paranormal est au summum de son pouvoir créatif comme le fut Murat dès Cheyenne autumn et quelques albums après cela. Il pouvait alors rendre merveilleux n'importe quoi, d'un improbable duo avec Mylène Farmer jusqu'à la reprise d'une petite chanson rêche façon rock français d'alors signée Louise Feron (paix à son âme) à qui il faisait atteindre des sommets de rondeur pop et moite (tous ses "Aaah ! Je vais tomber" sur le refrain son éminemment érotiques) et au titre prédestiné pour ce post : Tomber sous le charme. 



Je vais essayer de retrouver un peu de retenue pour le reste de ce post, chose qui ne sera pas difficile à faire car il y a bien longtemps que le charme s'est rompu concernant Jean-Louis. Parce que, pour moi en tout cas, Murat n'a plus la grâce et ce n'est même pas du à ses multiples tentatives (parfois réussies) de casser son image d'éternel amoureux romantique en apparaissant en vieil ivrogne défait aussi insupportable qu'incompréhensible dans les médias. Non, c'est juste qu'on entend plus que le savoir faire dans les chansons de Murat, pas cette magie qui en faisait quelque chose de totalement à part dans le paysage musical français. Aujourd'hui Murat se répète et s'il se parodie, ce n'est pas dans ses apparitions en public, mais, finalement, bien plus en déversant la même musique qui n'est pas mauvaise au demeurant mais laisse un sentiment, non pas nouveau, comme il le chantait, mais bien plus d'eau tiède ; j'ai l'impression qu'il fait de la musique comme il pisse et je préfèrerais qu'il se retienne de temps en temps parce que ce n'est pas comme ça que je vais retrouver les sommets vers lesquels il me transportait jusqu'à, disons, Lillith en 2003 qui fut pour moi son dernier grand album. Avant d'écrire ces lignes, je savais seulement que Murat allait sortir un album cette année, comme chaque année finalement. Mais je ne savais pas que son nouveau single était sur le Net depuis deux jours seulement. J'avais appris que, comme tant d'autres, il s'était fait virer de sa précédente maison de disques et je m'étais pris à espérer que, tel un coup de pied dans le cul, cela allait l'amener à parfaire les moindres détails de ses nouvelles chansons, histoire, pourquoi pas, de retrouver le charme initial et de provoquer une de ces belles histoires de revanche/rédemption dont le show biz a le secret. Hélas, Over and over, au titre, là-encore, prédestiné, ne fait que confirmer que Murat pisse encore et encore la même copie.



Même s'il reste toujours à part dans ma discothèque malgré tout ce que je viens d'écrire (qui aime bien...), Murat est comme les autres artistes. La grâce l'a touché un temps, puis s'est retirée, brisant le charme. J'aime à me dire que la grâce se pose sur l'épaule de certains artistes et y reste un temps. Ce doit d'ailleurs être comme pour les oiseaux : la grâce doit avoir envie de s'envoler de temps en temps. Rares sont les oiseaux qui se posent définitivement. Avec la grâce agit le charme. Et si une fois enchanté, on est bien incapable de dire pourquoi, on sait en revanche quand cela a commencé ; on tombe sous le charme, je vous le rappelle, et quand on tombe, on le fait rarement au ralenti. Clairement le charme a débuté à Cheyenne Autumn. Pas Si je devais manquer de toi, où Murat traîne encore une voix trop nasillarde, mais tout le reste de l'album sorti deux ans après. Le réécoutant pour précisément compléter ce post par LA chanson par laquelle tout avait commencé, il m'était strictement impossible d'en choisir une, chacune disputant à l'autre la revendication de ce titre. Très clairement, il n'y en a pas : c'est vraiment tout l'album. Mais très clairement aussi toutefois est apparue la chanson que j'allais poster ici même si elle n'est pas de Murat mais est une adaptation d'une bossa nova chantée notamment par Joao Gilberto, E Preciso Perdoar. Cela fait dix ans (si vous avez bien tout lu), que le charme n'agit plus. Dix ans passés loin de la musique de Murat. Pourtant à une heure très sombre, il y a quelques mois, il y a eu cette chanson. M'est apparue cette chanson. J'attendais depuis quelques heures déjà la mort de ma mère dont la vie n'était réduite qu'à de longues et douloureuses inspirations. J'avais sa main dans la mienne et je pensais qu'il fallait que ça s'arrête, que c'était le moment, qu'elle laisse aller, même si j'en étais très malheureux. Alors, dans ma tête, est venue se ficher cette chanson qui n'en finissait plus de tourner en boucle et que j'ai peut-être même, à un moment, fredonner à ma mère, espérant la réconforter, espérant qu'elle m'entende. Et cela m'a sans doute apaisé à la manière d'un charme. J'avais totalement oublié ce moment jusqu'à ce que la chanson résonne à nouveau dans mon casque il y a quelques jours. Son charme aujourd'hui, c'est de provoquer mes larmes, mais, je vous rassure, avec douceur. Avec grâce, si vous préférez.
(normalement ici, vous auriez du avoir le titre mais pour de sombres raisons de droits... Bref allez écouter ici sur Deezer, la chanson s'appelle Pars)

mardi 29 janvier 2013

On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans

Il m'est arrivé un drôle de truc lors de mon récent voyage aux Etats Unis. Nous étions à Los Angeles quand mon copain, voulant me faire plaisir, m'abandonne (parce qu'il n'est pas aussi fan que moi et s'ennuie vite dans un magasin de disques) chez Amoeba Records. Amoeba doit être l'un des plus grands disquaires que j'ai visité même si la photo suivante ne rend pas forcément les dimensions dantesques du lieu.


Me voici donc dans ce qui pourrait être le paradis de n'importe quel amateur de musiques. Et c'eut été mon paradis si j'y étais allé quelques années plus tôt, c'est à dire avant la dématérialisation du support. Or, m'y voici totalement désorienté. Je passe d'un rayon à l'autre mais ne cherche vraiment rien, n'ayant, précisément, rien à chercher. Depuis le Web, c'est devenu si facile de combler ses désirs que le plus compliqué est d'en trouver de nouveaux. Des disques que vous aviez oublié qui ressurgissent dans votre mémoire et sur lesquels vous aimeriez bien remettre la main. Pas plus tard qu'hier, je me disais que ce serait bien de retomber sur l'album de Coati Mundi de1983 sur lequel je me souvenais avoir adoré un morceau plutôt curieux au milieu du reste, c'est à dire des trucs à la Kid Creole, Coati Mundi étant le percussioniste dudit Kid Creole. J'aurais mis des mois à le retrouver dans une solderie, voire des années. J'ai mis deux minutes à le retrouver sur le Net, ravi de retrouver Prisonner of my principles peu ou prou comme je l'avais laissé.



Le mieux, c'est évidemment d'arriver avec une liste. Quand vous n'avez pas de liste, vous finissez par vous noyer dans cet océan de CD, papillonnant mais ne vous arrêtant pas vraiment. Or c'est bien plus simple de s'arrêter quand on papillonne sur Internet. Ca peut paraître paradoxal tant les possibilités offertes par le Web démultiplient les choix d'un seul pauvre et petit (aussi grand soit-il) disquaire. Mais ces choix ne vous arrivent pas tous ensemble à travers la gueule contrairement à l'impression que vous pouvez avoir chez le disquaire. Il y a plus de choix, certes, mais il arrive par l'univers policé de quelques pages où seulement quelques uns sont possibles. A vous d'effectuer la ballade que vous désirerez faire à partir de ces possibilités initiales. Et le facteur temps n'existe plus ; pour revenir à Amoeba records, je savais que je n'avais que deux heures avant que mon copain revienne. Je peux avoir moins de temps sur le Web, mais je peux y revenir quand je le veux. Je ne veux pas avoir l'air de dénigrer les disquaires où j'ai passé de longues heures et continue à le faire parfois ; il y a, par exemple, un excellent disquaire à Princeton où j'adore me rendre mais peut-être, précisément, parce qu'il est plus petit et permet de me laisser croire que je peux en faire le tour complet, en explorer toutes les possibilités (ce qui est illusoire mais bon). Enfin, toujours est-il qu'après ma petite escapade à Los Angeles, je me suis dit que j'en avais fini avec ce qui s'apparente, parfois, à de la boulimie. Un truc à voir, pensais-je alors fugitivement, avec le temps qui passe, avec le fait d'avoir grandi, de ne plus se comporter en grand enfant. Et puis, dimanche, me voici sur le Web, papillonnant donc. Je crois que j'ai oublié de préciser un avantage incontestable de la toile sur le disquaire : on peut y écouter les disques. Je veux dire on peut TOUS les écouter. En cela, ça me rappelle le bon temps des radios libres et au-delà, le temps où les maisons de disques envoyaient toutes leurs nouveautés aux radios. On ouvrait les paquets comme, chaque jour, un nouveau cadeau de Noël avec les mêmes anticipations, les mêmes déceptions souvent, et les mêmes joies parfois. J'évoque des souvenirs, or c'est précisément pour ne pas systématiquement les évoquer ici que j'étais parti sur le Web dans l'espoir de trouver quelques nouveautés à poster dans ces pages ; mon voeu a été exaucé bien au-delà de mes espérances. J'y trouvais par exemple ce petit morceau électro entêtant du londonien Tourist aussitôt téléchargé.


Un morceau qui n'est pas sans me rappeler cette approche un peu si ce n'est conceptuelle, disons intelligente de faire de la dance music electro partagée par ses compatriotes de Disclosure ou Alunageorge l'année dernière. Disclosure et Alunageorge, deux duos qui après des singles impeccables, font naître tous les espoirs pour leur premier album prévu cette année, et qui comblent les rêves de tous les bloggeurs du monde entier en s'associant et White noise répond à toutes les attentes que suscitait cette collaboration.



Je tombais sous le charme du remix par Flume du titre Higher de Ta-Ku, aux sonorités clairement hip hop mais qui met de si bonne humeur qu'il m'était difficile là encore de ne pas le télécharger.



Et même si l'humeur est plus sombre sur ce remix du Skyfall d'Adele, un peu comme si la chanteuse avait quitté le devant de la scène où elle incarne une Shirley Bassey des temps modernes pour gagner les backrooms, le remix signé Soul Circuit est si réussi qu'il eut été dommage de m'en priver (d'autant qu'il est comme les autres en téléchargement gratuit).



Après il y a eu un autre titre, puis un autre, puis encore un autre, et un autre, et un autre... Et j'arrivais à vingt cinq nouveaux titres dans ma discothèque. Une nouvelle crise de boulimie. Une preuve tangible que ma crise d'adolescence n'est pas totalement passée. Car voyez-vous, ce que je désignerais globalement de pop music a ce pouvoir de faire ressortir mes boutons d'acné (c'est heureusement, enfin je l'espère, une image). Une bonne pop song peut me faire perdre toute mesure, un truc précisément adulte que je ne peux pas avoir si j'ai dix sept ans. C'est précisément l'âge de Chlöe Howl. Oui, avec des trémas sur le "o" parce qu'on se démarque comme on peut quand on a dix sept ans. J'ai lu quelque part que Chlöe Howl était l'une des premières (et sans doute pas la dernière) tentatives par une maison de disque de trouver une nouvelle Adèle. Mais une Adèle, avec qui elle partage, si ce n'est la voix, du moins des intonations, qui écouterait Lilly Allen et Foster The People en boucle ; sa chanson reprend, limite plagiat, tout le monde le dit et tout le monde a raison, le gimmick de Pumped up kicks. Bref, c'est pas d'une originalité folle, c'est léger, ce n'est pas l'oeuvre du siècle. Je sais tout ça. Mais malgré tout ça, malgré les vingt quatre autres titres téléchargés et les autres, je suis en boucle totale sur No strings. Je ne peux plus m'en passer. Peut-être que ça s'arrêtera quand tout le monde écoutera (ce que je lui souhaite) Chlöe Howl et que, du coup, sa chanson aura fini de m'entraîner aussi haut qu'une bulle. De champagne, de savon et qui fera "pop!" quand elle éclatera comme un bouton d'acné. Peut-être qu'un jour, qui sait, je n'aurais plus dix sept ans. Ou, du moins, j'aurais fini d'y croire.

samedi 26 janvier 2013

La part du silence

Peut-on disparaître dans le silence ? Peut-on s'y avancer presque comme dans une mer jusqu'à s'y noyer ? S'y fondre comme dans le blanc du décor où finalement s'effacer ? Voilà la (les) question(s) que je me posais ce matin tandis que la radio diffusait cette très belle reprise de Such a shame par la Belge An Pierlé, une reprise qu’apparemment, elle fait depuis longtemps sur scène mais qui sera enfin sur disque le mois prochain.



Je ne pensais pas tant à An Pierlé, que je connais peu, en me posant cette question mais bien plus à l'auteur de cette chanson, Mark Hollis. Car si An Pierlé a un mérite, c'est bien d'avoir compris l'esprit de cette chanson ; si Mark Hollis la refaisait aujourd'hui, il la ferait surement ainsi. Avec juste un peu plus de creux. Un peu plus de silences. Je lisais récemment un article sur le blues qui disait que, pour ceux qui l'ont créé, le blues était "bien moins un musique qu'une hantise qu'on exorcise, bien moins une chanson qu'une longue plainte venue du fond de l'âme". Si j'en crois la définition, nombre des artistes que j'aime sont des bluesmen. Et Mark Hollis en est un sacré cas. Pourtant, au départ, qui entendait sa plainte derrière les oripeaux new wave du morceau éponyme de son groupe, Talk Talk ?



Je me souviens avoir tout de suite aimé ce morceau quand je l'ai découvert en 1982, puisqu'il entrait parfaitement dans le registre de ce que j'écoutais et appréciais à l'époque. Mais je n'avais jamais vu le clip (ou alors je l'avais totalement oublié). Or, ce que je voulais montrer mais que les images montrent encore plus, c'est qu'à l'époque, si plainte il y avait, elle parvenait sous forme de cris. Comme un enfant qui hurle son chagrin et finalement ne fait que casser les oreilles au lieu d'entraîner une réelle compassion. Et sur toutes les images, Mark Hollis donne l'impression de crier. Comme tout le monde, j'ai entendu et réentendu It's my life et Such a shame, deux ans plus tard. Ou plutôt comme tous les français puisque j'ai appris il y a peu que ces titres bien que standards chez nous furent largement ignorés au Royaume Uni dont ils sont originaires. Du coup, je n'ai pas d'attachement particulier à ces chansons, scies trop communes, mais me rends compte donc avec cette reprise que nous étions tous, Mark Hollis en premier, passés, à l'époque, à côté de leur vraie beauté. J'ai en revanche toujours les poils qui se dressent quand j'entends le solo de guitare qui ouvre Life's what you make it, le tube sorti deux ans plus tard, qui fut leur dernier et qui annonce, à mon sens, tout ce que Talk Talk et Mark Hollis allaient faire ensuite.



Il y a un climat dans cette chanson ; d'ailleurs on dirait plus que les musiciens cherchent à installer un climat qu'à réellement définir une chanson. C'est la dernière chanson réellement structurée qu'ils allaient livrer puisque l'album The Colour of spring dont il est issu, et plus encore les deux albums suivants, The spirit of Eden et The Laughing Stock étaient pleins de morceaux songeurs, hors format (les deux derniers albums ne contenaient que six morceaux chacun à pas moins de cinq minutes) et de plus en plus déshabillés. La plainte de Mark Hollis n'était plus criée mais presque chuchotée. Et c'est alors qu'on l'a le plus entendu. Ce serait facile aujourd'hui de vous dire que j'étais totalement emballé par ces albums, encensés par la critique, qui leur octroie l'invention du post rock, et qui font que Talk Talk fut cité comme influence par Portishead, Radiohead, DJ Shadow ou Death Cab For Cutie (comme le révèle leur note biographique Wikipedia). Mais ce serait faux. Après The colour of spring, je suis passé totalement à côté des albums suivants, ces albums fondateurs donc. J'ai recollé à leur son via Hex, album de leurs disciples Bark Psychosis, sorti en 1994, qui fut l'un des premiers albums clairement labellisé post rock, étiquette à laquelle aurait pu se substituer Talk Talk music. Sauf que Talk Talk, pour une musique qui parle peu... D'ailleurs c'est tout le paradoxe de Talk Talk, ce nom pour un groupe de moins en moins bavard, que ce soit sur disque ou ailleurs, Mark Hollis n'étant pas du genre à se répandre dans la presse (c'est un euphémisme).



Ayant quitté Mark Hollis sur The colour of spring, ce n'était finalement pas si étonnant que ça qu'il recroise ma route avec... The colour of spring. C'est en effet le titre de la première chanson de son album solo sorti en 1998 qui fait la part belle au silence. La vidéo ci-dessous par exemple n'est pas une erreur : le morceau The colour of spring débute bien par 18 secondes de silence.



L'album est une merveille totalement à part : hors norme, hors format, hors du temps. Ailleurs. Qu'on en veuille plus après l'avoir écouté n'est que pure logique. Sauf que la logique de Mark Hollis est précisément d'en faire moins, de laisser parler le silence, d'y disparaître donc. On ne l'a plus jamais entendu. Mais, il y a quelques jours est sorti une compilation de Talk Talk. Contrairement aux (nombreuses autres) précédentes orchestrées par leur maison de disques, les titres de celle-ci, baptisée Natural Order 1982-1991, ont été choisis et rassemblées par Mark Hollis lui même. Il n'y a aucun des tubes de Talk Talk sur cette compilation mais des titres qui montrent, peut-être pas dès le départ, mais au moins dès le deuxième album, que Mark Hollis a toujours voulu faire autre chose, amener vers d'autres territoires comme en témoigne par exemple le très beau Renee, qu'on n'avait pas assez écouté planqué qu'il était sur l'album It's my life, écrasé par les rouleaux compresseurs It's my life et Such a shame.



Dans le très beau livre de Jeanette Winterson, Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?, il y a ce très beau passage sur le silence : "Raconter une histoire permet d'exercer un contrôle tout en laissant de l'espace, une ouverture. C'est une version qui n'est jamais définitive. On se prend à espérer que les silences seront entendus par quelqu'un d'autre, pour que l'histoire perdure, soit de nouveau racontée. En écrivant, on offre le silence autant que l'histoire. Les mots sont la part du silence qui peut être exprimée". Ecrire de la musique est la manière qu'a choisi Mark Hollis pour raconter une histoire. Et si vous remplacez les mots par les chansons, vous aurez une bonne idée de ce que je ressens de la musique de Mark Hollis.

vendredi 25 janvier 2013

Un petit je ne sais quoi

Quand la lecture aléatoire est enclenchée dans Itunes - ce qu'elle est la plupart du temps, il arrive souvent que le hasard porte son choix sur un drôle de morceau, un truc curieux qui n'a rien à voir avec le reste de la programmation : une joyeuse fanfare africaine, un morceau yéyé latino, un rap un peu smooth... C'est à ce moment là que mon copain me dit : "Il faut trier les morceaux de Nova". Les morceaux de Nova, ce sont ceux des compils Les Racines de Nova et 25 ans de Radio Nova. Il serait plus précis de dire des coffrets, coffrets de 25 CD chacun ce qui explique, même si j'en ai déjà enlevé un certain nombre, que je tombe régulièrement dessus. Mais je ne me résous pas à trier ce qui reste parce que ça ne me gêne foncièrement pas. Au contraire. Ce que j'aime chez Radio Nova, dont ces coffrets sont un bon reflet, c'est, au delà du mélange des styles, un bon goût dans la programmation qui fait qu'on est jamais agacé par un morceau au point de vouloir zapper. Et c'est la seule station qui reste hors format, ou plutôt qui n'obéit qu'à un seul format : le sien, un format où l'amour de la bonne musique passe avant des considérations mercantiles qui voudraient, par exemple, que Goldman soit plus fédérateur, Hallyday, plus rassembleur et le tout, générateur d'audience. Oui, Nova fait moins d'audience que d'autres radios mais je suis persuadé que ses auditeurs lui sont fidèles tant il est difficile de passer à quoique ce soit après elle, tant la programmation, ailleurs, vous apparaît d'emblée trop calibrée. Bon, je devrais préciser : aucun morceau ne m'agace réellement sur Nova quand je l'entends, c'est à dire quand j'ai besoin d'un fond musical. Si je me mets à réellement l'écouter, la sensation est différente. Mais si je dois écouter la radio, c'est plus pour y entendre des gens qui parlent. Quand j'écoute de la musique, je ne mets pas la radio, je mets des disques de ma discothèque. Mais il m'arrive aussi, histoire de vous compliquer un peu les choses, quand la lecture est donc en aléatoire, de me servir de ma discothèque, comme d'un équivalent de Radio Nova ; quelque chose que j'entends, pas que j'écoute. Et puis, si le ruban musical n'était fait que de perles, on finirait par ne même plus les remarquer ; il est important d'avoir des strass pour mieux voir un diamant briller. Je me rends compte que l'image revient à minorer ces morceaux, ce qui ne leur va pas à tous ; alors prenons en une autre. Avoir un morceau qui dénote, c'est aussi une fenêtre ouverte et c'est bon, parfois, de savoir prendre l'air. C'est ainsi qu'à chaque fois que j'écoute Pretty Ballerina de The Left Banke, je me dis que c'est une chance d'avoir cette compil où découvrir des morceaux comme celui-ci que je ne serais jamais allé chercher tout seul puisque ce n'est pas exactement mon registre habituel.



En fait tout ça me rappelle l'époque bénie où je faisais moi-même la programmation de mes émissions à la radio. Je ne parle pas de mes années en radio libre où je ne passais QUE des morceaux que j'aimais et encore moins de mes dernières années en radio où je ne programmais QUE des morceaux que je n'aimais pas (et qu'il me fallait choisir parmi un catalogue infect qu'on appelle, dans les locales de Radio France, la base - et effectivement, c'est on ne peut plus basique). Non, je parle de ce moment, où la programmation n'était pas assistée par ordinateur mais où elle était, littéralement choisie à la main. Evidemment, il s'agissait là encore de remplir des cases : ici, un tube, là, un gold, et à tel autre endroit, une nouveauté. Mais j'aimais cet exercice de style dans lequel je créais des ambiances en passant tel petit tube un peu secondaire, telle chanson qu'on a bien connu mais qu'on croyait oublié, ce grain de sel qui faisait que la programmation était unique et participait, du moins j'aimais le croire, à faire grimper l'audience. Ca ne l'a en tout cas jamais empêché de grimper. Evidemment il fallait en user avec parcimonie : une fois déterrée, il fallait enterrer à nouveau la chanson durant de longs mois avant de s'en resservir et c'est pourquoi, aujourd'hui, ce genre de chanson ne peut exister sur des radios où chaque titre est géré pour revenir au moins une fois par semaine (quand ce n'est pas plusieurs fois par jour) entraînant, en ce qui me concerne, une très grande lassitude. Or, même si vous n'aviez pas vécu en 1963, époque à laquelle cette chanson eut son heure de gloire, je suis persuadé que vous pouviez tomber sous le charme du Melocoton de Colette Magny, ou, du moins, que vous n'étiez pas gêné par elle, d'autant qu'elle dure moins de deux minutes (très pratique quand la rubrique qui la précédait était plus longue qu'à l'habitude).



Ainsi donc j'aime tomber sur des morceaux secondaires mais néanmoins charmants ; ça ne vaut pas grand chose mais c'est aussi joli que ces morceaux de verres dépolis par le sable qu'on trouve au hasard sur une plage et qu'on garde précieusement (du moins quand on est enfant). Et à ce jeu là, il y a une championne dans ma discothèque, une chanteuse dont je possède à peu près l'intégrale, 75 titres pour être précis. Il m'est impossible d'écouter ces titres à la suite. Il me serait même impossible d'écouter seulement un album dans son intégralité : ce serait tout bonnement insupportable. Mais à chaque fois que je tombe sur l'une de ses chansons, je me dis que ça fait un bien fou. Comme un verre d'eau fraîche après avoir abusé de grands crus. Ah ! Claudine... ne puis-je m'empêcher de soupirer, rêveur. Claudine Longet. Vous avez le droit de ne pas connaître Claudine Longet, puisque ceux qui l'ont connue l'ont sans doute aussi oubliée. Pourtant, pour qui est un tant soit peu cinéphile, on connaît tous Claudine Longet et l'une de ses chansons, qui fut d'ailleurs ma porte d'entrée dans son univers. C'est en effet Claudine qui était la partenaire féminine de Peter Sellers dans le cultissime The Party de Blake Edwards. Elle était cette jeune et jolie chanteuse qui semblait un peu s'ennuyer poliment dans cette soirée convenue jusqu'à, précisément, l'arrivée du personnage farfelu d'acteur indien joué par Sellers. Et son heure de gloire était le moment où elle entonnait le délicat et distingué Nothing to loose.



Il semblerait que Claudine, bien que française, ait eu une petite notoriété aux Etats Unis, d'où l’enregistrement de plusieurs albums. Il faut dire qu'elle allait rester mariée longtemps à Andy Williams, grosse star là-bas, et dont on se souvient surtout pour Moon river, autre chanson de film au charme assez comparable à celui créé par Claudine dans The Party. Sauf que dans le film en question, Breakfast at Tiphany's, elle n'est pas chantée par Andy Williams, mais par Audrey Hepburn, là encore faussement seule à la guitare car si l'on ne se borne pas à regarder l'image et qu'on s'attarde sur le son, on entend nettement l'orchestration.



Ceci pourrait n'être qu'une parenthèse si cette chanson n'était pas un exemple parfait de ce qu'on appelle, un peu dédaigneusement il faut bien l'avouer, l'easy listening, soit le registre de Claudine Longet, qui, tout au long de sa carrière, reprit nombre de chansons (très rares sont ses créations comme Nothing to lose) pour les tremper dans le sirop et y apposer sa petite voix fragile à l'accent français savamment entretenu. Mais serais-je aussi attaché à son répertoire si je ne connaissais l'incroyable trajectoire de la petite française qui démarre comme un rêve et se termine comme un cauchemar ? Testons pour voir en vous la racontant. Claudine arrive donc dans les années 60 aux Etats Unis pour devenir danseuse mais c'est en chantant qu'elle se fait non seulement un nom mais un mari, Andy Williams donc, qui, après l'avoir invité à de nombreuses reprises dans son émission télé, en fit sa femme. Grace à lui, elle enregistre plusieurs albums, certains à succès donc, puis le quitte pour une autre star, le multi médaillé champion de ski Vladimir "Spider" Sabich. Et c'est là que ça se gâte puisque le 21 mars 1976, on retrouve Sabich mort, tué par balles : Longet expliquera que Sabich lui expliquait comment fonctionnait l'arme quand le coup partit tout seul. Mais on retrouva des traces de cocaïne dans le sang de Longet et son journal intime révéla que sa relation avec le skieur n'était pas aussi rose qu'elle le prétendait. Autant de preuves qui n'étaient pas recevables, le prélèvement de sang comme la confiscation du journal n'ayant pas été effectués dans les règles. Claudine Longet fut condamnée pour meurtre par négligence à trente jours de prison, qu'on lui permit de faire à sa guise pour rester avec ses enfants. Et si la famille de Sabich voulut longtemps poursuivre Longet, ils trouvèrent un accord dans le fait qu'elle ne parle ni n'écrive jamais sur son histoire. Claudine alla même au delà de ce voeu puisqu'elle n'apparut plus jamais en public, se retirant définitivement à Aspen où elle vit encore aujourd'hui avec l'avocat qui la défendit lors de son procès. Une sacrée histoire qui a inspiré un livre, Aspen terminus de Fabrice Gaignault sorti il y a trois ans, mais aussi à une chanson des Stones, Claudine. Et tout ça donne une allure plus sombre à ce joli paysage ensoleillé, un goût vénéneux au sucre. Du sucré salé. Un truc qui fait ressortir les autres goûts. Peu ou prou ce dont je voulais parler depuis le départ.

mercredi 23 janvier 2013

Sprechen sie Deutsch ?

J'avouais ici il y a peu de temps mon amour pourtant inavouable pour Nena (attention, hein, le premier album). Hier, on célébrait les cinquante ans de l'amitié franco-allemande qui ont donné lieu à un paquet de reportages depuis Berlin. Depuis le début de ce blog, je m'étonne d'un gros following allemand (l'ami d'un ami ? Mon double allemand ?) car oui, on peut voir d'où ce blog est lu. Enfin, hier, au hasard de la lecture d'un dispensable polar autrichien, le héros se retrouvait à écouter Falco. Stop ! N'en jetez plus : tout m'incite à parler ici de mon rapport à la musique allemande. Remarquez, ça va aller vite : je n'ai pas de rapport avec la musique allemande. Je veux dire pas de rapport régulier, d'artiste dont je suis la carrière avec attention. Cela ne veut pas dire que l'Allemagne n'occupe pas une place à part dans mon rapport à la musique. J'ai du faire mon premier voyage en Allemagne dans le cadre d'un jumelage alors que j'avais douze ou treize ans, soit l'âge où j'ai aussi commencé à faire de la radio et l'âge officiel auquel on devient teenager, thirteen succédant à twelve. Ou, en l'occurence, dreizehn à zwölf. J'avais donc les oreilles grandes ouvertes lorsque je débarquais à Balingen chez ma correspondante Heike. Et la chance me souriait car si l'Allemagne n'a pas franchement marqué l'histoire rock de son empreinte (enfin pas trop), j'arrivais en Allemagne en pleine Neue Deutsche Welle, soit la Nouvelle Vague Allemande qui culmina à travers le monde via Nena donc et Falco itou et leurs tubes respectifs, 99 Luftballons et Der Kommissar, en allemand dans le texte s'il vous plaît (à l'exception des Américains qu'il a fallu convaincre à coup de Redballoons et d'une reprise par les After The Fire de la chanson de Falco). Ce n'était que la partie visible d'un gigantesque iceberg dont on ne pouvait mesurer l'ampleur qu'en se rendant sur place. Et je me gavais. Car s'il y avait déjà des spécialistes de new wave, rock, punk, et, grosso modo, tous les styles imaginables sur ma petite radio libre, il n'y avait pas de spécialiste de Neue Deutsche Welle, ce que je devins et fis, au départ, une de mes spécificités. J'étais pour la première fois un relais, ce que j'aspire à être encore aujourd'hui, et donc une première fois, forcément, ça ne s'oublie pas. Ca ne s'oublie d'autant pas que ça s'accompagnait d'une cassette que j'ai du traîner des années durant de déménagement en déménagement, et, maintenant que j'en parle, qui pourrait très bien se trouver encore en ma possession (ça fait combien de temps que vous n'avez pas regardé vos cassettes, vous ? Et d'abord, vous avez encore un magnéto pour les jouer ?). Son titre : Neue Deutsche Welle. Et oui, évidemment, il y a beaucoup de choses qui ont vieilli sur cette cassette : n'allez pas - ou alors, c'est que vous aurez fait un voyage de la même nature et que vous voudrez vous remémorer des souvenirs - écouter Skandal im Sperbezzirk du Spider Murphy Gang, Einmal nur mit Erikah d'Hubert Kah ou Ein Jahr (es geht foran) de Fehlfarben (encore que cette dernière..). Autant de morceaux que je connais pourtant par coeur tant j'ai passé et repassé cette cassette. Mais tout n'a pas si mal vieilli sur cette cassette. Il y a même un morceau devenu culte : Eisbaer de Grauzone (qui fut bien plus le groupe de Martin Eicher que de son frère Stefan, comme dit par la suite, Stefan ne faisant alors qu'accompagner son frère sur scène, et, parfois sur disque, à l'instar de la saxophoniste nommée, ça ne s'invente pas, Claudine Chirac, comme le livre leur note biographique Wikipedia, ce qui me fait faire une parenthèse d'autant plus monstrueusement longue qu'elle vous prive du premier titre de musique de ce post, ce qui veut dire qu'il serait temps que je la ferme - moi, comme la parenthèse).



Avouez qu'il en jette encore le petit morceau post punk qui fait qu'on s'en fout complètement qu'il chante qu'il "voudrait être un ours polaire parce que les ours polaires ne doivent jamais pleurer" (sic). Vous allez me dire que je triche, que le groupe était suisse allemand. Mais c'est bien en Allemagne que ce titre chanté en Allemand est devenu un tube d'où présence sur la cassette. En Autriche aussi, rajouteront les plus pointus. Mais on y parle allemand, non ? D'ailleurs, c'est bien pour ça que je classe l'Autrichien Falco dans la catégorie des chanteurs allemands. Là, c'est le 45 tours que j'avais ramené d'Allemagne, fier d'avoir été l'un des premiers à l'avoir détenu quand le single était devenu un tube ici. Ce qui fait que j'ai aussi suivi la suite de la carrière de Falco ou, plus exactement, l'album qui suivit. Et je me suis toujours étonné du peu de succès (sauf, allez savoir pourquoi, en Espagne) du single suivant qui offrait une alternative crédible et teutonne au Bowie de Let's dance : Junge Roemer.



Vous aurez reconnu que le son n'est pas le même que Grauzone et qu'on est déjà un peu plus dans la copie que dans une véritable expression musicale originale (ça fait un peu savant pédant comme formule mais bon, vous m'aurez compris). Il faut dire que la Neue Deutsche Welle, vous savez le gros iceberg, eh bien il avait fondu. Je m'en suis aperçu lors d'un autre voyage en Allemagne, qui me conduisit de Cologne à Hambourg en passant par une troisième ville dont je ne me rappelle plus. Je me rappelle toutefois très bien le but de ce voyage : j'avais gagné une bourse de l'Office Franco Allemand pour la Jeunesse à qui j'avais soumis un projet de reportage sur... la Neue Deutsche Welle. Un projet dans lequel je ne me serais jamais lancé sans la participation d'une camarade bilingue, mon allemand, malgré huit ans de pratique, en première puis en seconde langue, s'étant hélas échoué sur les cas masculin, féminin et neutre (pourquoi neutre? Croyez que c'est déjà pas assez compliqué avec le masculin et le féminin !?). Durant le voyage, j'appris donc que ce qu'on appela la Neue Deutsche Welle ne dura au mieux que quelques mois : devant les quelques succès internationaux, les maisons de disques s'étaient mis à signer et sortir tout et n'importe quoi jusqu'à la rapide saturation du marché et la belle mort de la vague. Dès lors, mes rencontres musicales avec l'Allemagne se firent plus occasionnelles et, euh, moins allemandes. Car si j'ai adoré l'album de Propaganda, il était en anglais et produit par des Anglais. Moins connues, les soeurs Humpe, Annette et Hinga, dont le nom de scène était donc Humpe Humpe (prononcez Oumpeu Oumpeu) ont sorti la même année un très mignon premier album auquel participa notamment Martin Gore de Depeche Mode. Mais ma chanson préférée sur l'album reste Yama-ha, fausse chanson japonaise où Humpe Humpe énumère de grandes marques japonaises. On est en droit d'apprécier encore un peu (oumpeu).



Evidemment tout cela peut paraître bien mineur par rapport à des artistes bien plus "respectables" que sont Kraftwerk ou Nina Hagen. Mais ces deux artistes ne sont jamais rentrés dans mon intimité musicale. Prenons Kraftwerk pour commencer. Je comprends bien tout ce qu'ils avaient de novateur et tout ce que la scène électronique leur doit. Je comprends qu'on éprouve du respect donc pour Radioactivity. Mais moi, Radioactivity me fait chier, comme à vrai dire, la majeure partie de la production de Kraftwerk. Evidemment il faut bien qu'il y ait une exception à la règle : cette exception, c'est Das Model (et pourquoi Das ? Pourquoi pas Die ? ou Der ? Putain de cas !) que je peux écouter en boucle sans jamais me lasser.



Quant à Nina Hagen, je dois bien avouer qu'à l'époque d'African reggae, le petit garçon de dix ans que j'étais était bien plus effrayé par cette dame qui faisait un peu peur, avouez, qu'autre chose. Je n'ai apprécié que plus tard cette chanson. J'ai beaucoup aimé et beaucoup dansé sur New York, New York, mais le mieux pour moi, chez Nina Hagen, c'était Band, car quand Nina Hagen est apparue, on pouvait lire (en tout cas sur ses deux premiers albums) : Nina Hagen Band. C'est ce Band qui a signé African reggae et ce même Band qui est devenu, après que Nina se soit séparée d'eux, Spliff. Spliff, dont j'aime encore aujourd'hui plusieurs titres, dont Das Blech, sorti en 1982, qui, en quelque sorte, annonçait avec deux ans d'avance (et, à mon goût, autrement plus de talent) le Din daa daa de leur compatriote George Kranz.



Puisque nous en sommes là, Din daa daa, la piste de danse, tout ça, tout ça, j'ai eu un passage obligé par l'Allemagne une décennie plus tard au moment où la Techno faisait naître la Love Parade outre rhin et des barrages de gendarmes chez nous. Je me souviens nettement d'une compilation Esprit de Jeunesse qui rassemblaient une flopée d'artistes allemands et ne peux, aujourd'hui encore, me lasser du Ready to flow de Nikolaï. Je sais bien ce que la plupart d'entre vous vont penser mais je le prouve encore une fois : il faut aussi assumer ses mauvais goûts. Dont acte.



En ce qui concerne les musiques électroniques - l'héritage conjoint de Kraftwerk et Giorgio Moroder, j'imagine, les Allemands ont toujours su tirer leur épingle du jeu comme avec Paul Kalkbrenner, dont je suis loin d'apprécier toute la production mais suis totalement sous le charme de l'étrange Dockyard.



Et maintenant, où en sommes-nous (oui, Where are we now ? comme le chante Bowie, évoquant un Berlin fantomatique, mais Où en sommes nous/ Où en sommes nous ? comme le chantait aussi Souchon, il y a pile vingt ans dans Le zèbre), moi et l'Allemagne (je sais qu'on dit "L'Allemagne et moi" mais le blog étant quand même un joli exercice égocentré voire narcissique, permettez-moi la formule et cette nouvelle parenthèse)? Eh bien nous en sommes comme tout le monde, dans le monde, ou si vous préférez, au temps de la mondialisation. Soit donc une époque à laquelle si un Allemand veut être connu d'un Français, et un Français connu d'un Allemand, et au-delà, dans les deux cas, il vaut mieux qu'ils chantent en anglais. D'où des groupes dont les spécificités se font plus stylistiques que géographiques (vous avez vu, j'ai repris mon petit ton savant pédant). Par exemple quand tout le monde a adoré l'album de The Notwist, Neon Golden, il y a plus de dix ans, combien se sont souciés de savoir que le groupe était allemand ? Et de toutes façons, était-ce important de le savoir ? Si je vous en parle, c'est parce qu'ils sont, ma dernière aventure sonore germanophile en date puisque tombant par hasard il y a deux ans, sur ce morceau pourtant sorti dix ans plus tôt, je me dis que c'était vraiment chouette Pilot, leur single. Or, me souvenant parfaitement du déluge d'éloges reçues par leur album, je m'empressais il y a un mois de l'acheter en le trouvant dans une solderie, en me disant que j'étais forcément passé à côté de quelque chose. Mais, euh, non.



Il est donc fort probable que mes prochaines aventures au sein du son allemand s'inscriront dans le grand tout de ma découverte de la musique globale anglophone (putain, la phrase !). Et quelque part, ça fait un peu chier (oui, c'est pour atténuer l'effet de la phrase précédente). Parce que, même si, comme tout le monde, je ne trouve pas une infinie beauté à la langue de Goethe (c'est évidemment un euphémisme), je ne pourrais imaginer la chanson de Profil chantée autrement. Une chanson sur la cassette. Une chanson chantée d'une voix timide, avec des pianos plongés dans l'écho, sur un rythme marqué. Une chanson qui pue les années 80. Et c'est pour tout ça que je l'adore. En VO. En allemand, Ich liebe dich. Schön conclusion, nein ?

lundi 21 janvier 2013

That difficult second album

Comme l'écrivait cette journaliste du Daily Telegraph dans ce post l'année dernière, ce difficile second album a toujours été le croque mitaine de la pop" car, poursuit-elle, il peut "faire ou briser le restant d'une carrière". That difficult second album est une expression que j'ai lue et relue au cours des nombreuses années où j'ai pu  lire de la presse spécialisée anglo-saxonne et, si le concept existe aussi en France, il ne donne pas lieu à ce qu'on peut réellement considérer comme une expression de la presse écrite outre Manche. Une figure de style pour les journalistes sur laquelle je m'étais déjà penché ici même et, plus encore donc, un passage obligé pour les artistes, ce qui me fait dire que je n'ai pas fini de m'étendre sur le sujet... Qu'attend-t-on au juste d'un second album ? A mon avis, qu'il soit meilleur que le premier. Finalement, c'est assez simple d'attirer l'attention sur soi avec un premier album : l'attrait de la nouveauté attire les regards même sans une formule géniale ou totalement novatrice. Suffit d'un peu de travail. Or, un premier album, finalement, c'est le fruit de toute une vie, soit un assez long travail. En tout cas de toute votre vie jusqu'à ce premier album. Un second album, c'est le fruit d'une, deux, voire, comme nous allons le voir ici, trois années. Or, il va falloir, en trois ans, faire mieux que durant le reste de votre vie. Ecartons tout de suite ceux qui font moins bien au second essai qu'au premier en prenant le cruel exemple de Delphic. C'est donc en 2010 qu'est apparu Delphic adoubé par les critiques rock du monde entier car ce groupe de Manchester avait retrouvé une formule qu'on croyait unique, propriété d'un autre groupe de Manchester : New Order. Delphic faisait du New Order. Mieux, Delphic faisait du bon New Order.



Mais Delphic a du en avoir marre de s'entendre dire qu'ils étaient les nouveaux New Order à longueur de temps. Il fallait que ça change. Du coup, ils ont élargi leur champ de références à la synthpop des années 80, se rêvant sans doute en Duran Duran contemporains. Sauf que Baiya, qui, au demeurant, n'est pas totalement désagréable, les fait très clairement reculer d'une case, et annonce hélas clairement la pauvre qualité de l'album Collections à sortir lundi prochain. Du coup, c'est un peu comme si, au lieu d'être resté le groupe qui fait du New Order, Delphic devenait le groupe qui fait du Alphaville. Big in Japan, on leur souhaite, big ailleurs, on en doute.



C'est aussi il y a presque trois ans (quatre pour être précis - c'était en 2009) que l'on remarqua pour la première fois Wave Machines qui sort aujourd'hui même son second album, Pollen. C'était vraiment pas mal la musique pop rock matinée de synthés rigolos de Wave Machines et ça l'est d'ailleurs toujours comme on peut en juger sur I hold loneliness, extrait dudit album.



C'est gentil, c'est mignon et c'est bien là le problème : on n'attend pas du gentil, du mignon pour le second album. On attend du magnifique, de l'énorme ; faut envoyer le bois. C'est d'autant plus problématique pour Wave Machines qui partait avec un gros atout et donc avec le recul du temps, un gros handicap : un énorme single. Or il n'y a pas d'énorme single sur cette nouvelle mouture, rien qui tienne la comparaison avec leur formidable et initial effort Keep the lights on, la véritable raison, si vous voulez mon avis (et vous ne sauriez pas en train de lire ces lignes si ce n'était pas le cas), de l'engouement qu'avait suscité les Wave Machines.



Retour à 2010 avec un autre groupe anglais : c'est pas ma faute, c'est l'actualité. A vrai dire, je n'avais pas retenu grand chose de Man Alive, le premier album d'Everything Everything. C'est peut-être d'ailleurs la clé de la réussite de votre second effort : qu'on ne retienne pas grand chose du premier de sorte que vous ne fassiez pas naître de fols espoirs chez ceux qui vous auront aimé la première fois. Or Everything Everything n'avait rien fait naître chez moi qu'un peu de plaisir avec l'agréable (mais derrière agréable, il y a souvent "sans plus") My kz, ur bf, soit My Keys, Your Boyfriend dans un style savamment écourté.



Et puis voici que l'été dernier, le nom d'Everything Everything fleurit sur les blogs musicaux un peu partout avec le single Cough Cough. Ce n'est pas un autre groupe, on reconnaît bien le style esquissé sur leur premier album, mais, précisément, ce n'est plus une esquisse. C'est un style affirmé, poussé jusqu'au bout de sa logique, avec beaucoup d'ambition. Cough, cough, soit pour les moins non anglophones, Tousse Tousse, et, effectivement, ça tousse dès les premières secondes et si l'on tousse, c'est parce qu'on s'étrangle, tant Everything Everything semble avancer à pas de géants.



Bon, c'est pas tout d'être ambitieux : il faut se montrer à la hauteur de ses ambitions et c'est là où Everything Everything gagne son pari, et passe donc le cap de that difficult second album. Arc est brillant de bout en bout. Il l'est tellement que je me suis dit, en l'écoutant, que l'année 2013 avait vraiment commencé. Car, jusqu'à présent, nous en étions tous, moi le premier, à nous remémorer les bons moments de l'année dernière. Ca y est, c'est bien fini : je passe à autre chose, Everything Everything donc, le premier grand album de cette année 2013, tant il est clair, dès à présent, qu'on devrait s'en souvenir à la fin de l'année et souhaitons le, au delà. Un bonheur n'arrivant jamais seul, lundi dernier toujours est sorti {Awayland} des Villagers, l'autre album qui nous plante dans le présent de cette année et non dans le passé de l'année dernière. Des Villagers, le groupe de l'Irlandais Conor O'Brien, je n'attendais strictement rien et pour cause : je suis passé totalement à côté du premier album sorti il y a trois ans aussi. J'avais fait connaissance avec sa production via la très avisée Charlotte Gainsbourg qui lui demanda et obtint sa collaboration pour le titre Memoir en 2011.



Je pourrais du coup détourner à mon compte le refrain de Nothing arrived, le premier single extrait du nouvel album des Villagers : je n'attendais rien et tout est arrivé. Sauf que l'écriture de Conor O'Brien est nettement plus maline et réussie puisqu'il chante : "I waited for something/ And something died/ So i waited for nothing/ And nothing arrived", ce qui me réjouit assez pour un, ne pas vous en offrir la traduction parce que bon, faut pas déconner, quelques notions d'anglais, ça n'a jamais fait de mal à personne, et pour deux, lui décerner illico la palme du meilleur refrain de l'année 2013.



Ce qu'il y a de formidable dans cette chanson, c'est qu'elle vous tient jusqu'à la fin. Elle atteint même des sommets à la fin quand entrent dans la partie les violons, aux alentours de 3', et qu'avec la voix de Conor O'Brien, s'envole la chanson vers des hauteurs insoupçonnées. Comme si les Villagers avaient placé la barre encore plus haut. That difficult second album, c'est ça d'ailleurs : placer la barre encore plus haut et arriver à la franchir.

jeudi 17 janvier 2013

Maintenant ou jamais

Cela faisait un moment, pardon, neuf jours que je me demandais si j'allais parler du dernier Bowie. Mon hésitation ne venait pas de Bowie lui même dont j'ai déjà parlé ici, mais bien plus de ce Where are we now ? et de toute l'agitation qu'il a su créé. D'ailleurs, d'un point de vue marketing, chapeau l'artiste : une vidéo postée sur le Net et il se retrouve à la une de tous les journaux, y compris du vingt heures en France, mais aussi en tête des ventes d'albums sur Itunes, ce qui est assez fort pour un album en précommande. Quand on pense d'ailleurs aux millions dépensés en pub par d'autres sans le dizième du résultat, ça laisse songeur. Du coup, tout ça avait un peu des allures de Bowiethon : pauvre David qui était malade mais qui revient en forme et, double cerise sur le gâteau  avec Tony Visconti, le producteur historique, et avec un texte faisant ouvertement référence à la trilogie berlinoise de la fin des années 70, l'album à venir, The next day, détournant même au passage la couverture du mythique Heroes.



A vrai dire la stratégie de l'absence est toujours payante. D'ailleurs, une semaine seulement après Bowie, Justin Timberlake a provoqué peu ou prou le même engouement en publiant à son tour sa nouvelle chanson, annonciatrice de l'album à venir, lui aussi, en 2013, le premier depuis sept ans. Mais, à la différence de Bowie, j'ai trouvé la nouvelle chanson de Timberlake dans le classement des titres les plus appréciés parmi ceux postés par les blogs musicaux à travers le monde. C'est le fameux classement Hypem, dont j'ai déjà parlé à de nombreuses reprises mais dont je vous rappelle le principe : le site Hypem référence pas mal de blogs à travers le monde se faisant écho de leurs trouvailles musicales. Les internautes peuvent alors se rendre sur le site et attribuer un cœur aux morceaux pour afficher leurs préférences : c'est le classement. Or, Timberlake arrive à la deuxième place avec Suit and tie quand Bowie arrive... nulle part dans les 50 premières places. Ce n'est pas que Suit and tie soit meilleur que Where are we now (j'ai plutôt tendance à penser le contraire): ils ne jouent tout simplement pas dans la même cour. Toutefois, si je dois encore lier les deux dans la même phrase, c'est parce que le dernier morceau de Timberlake qui m'ait vraiment intéressé est un remix tout comme Bowie. Le My love de Timberlake a été brillamment détourné en morceau house par Fet  & Moi devenant, au passage, Paris is for lovers (mais ne vous y trompez pas, derrière le patronyme français et le titre évoquant la capitale, se cachent, si je ne me trompe, des Allemands).



Quant à Bowie, la dernière fois que ça m'a vraiment passionné, c'était il y a vingt ans, via ce fabuleux remix de Jump they say qui m'avait fait espérer, un temps, qu'il se tourne vers la techno. J'avais oublié qu'il s'agissait bien plus de l'oeuvre des Leftfield, les remixeurs, que du remixé.



Tout cela, vous me direz, ne fait pas franchement avancer le schmilblick. Enfin plutôt, vous allez me dire : "Mais qu'est-ce que t'en penses du dernier Bowie ?" Ben en fait, pas grand chose. Surement pas en tout cas l'extase qu'il semble avoir provoqué chez tous ses fans, pour qui il est interdit de critiquer ce morceau crépusculaire, cette ballade sombre, bla bla bla... A vrai dire, je ne sais pas si c'est le fait que le morceau soit réellement réussi qui provoque une telle pâmoison ou, bien plus, qu'il ne soit pas raté. Et après dix ans d'absence, c'est quand même le minimum syndical, non ? D'ailleurs n'est-ce pas ce qui me gêne fondamentalement : que Bowie ne propose que le minimum de ce qu'on attend de lui ? Minimum mais effet maximum, comme je l'ai déjà dit plus haut. Sauf donc, comme dit plus haut également, sur ces petits merdeux qui créent la hype sur Hypem et qui ne se signent pas devant Saint Bowie. Blasphème. Bon, allez, parce qu'on est sympa et pour les quelques uns qui auraient loupé le Grâal, rappel des faits.



Non, elle n'a rien de mal cette chanson. Elle est juste d'un grand classicisme. Elle est tellement classique que si l'on n'écoute que l'intro, on pourrait penser à une ballade de Paul McCartney. Je n'ai pas choisi ça au hasard : ce qu'on n'aurait pas passé à Macca absout presque Bowie de tous ses pêchés musicaux passés (et ils sont assez nombreux). Ah, l'absence !... C'est merveilleux ce que ça fait naître. Pendant ce temps-là, nos petits branleurs du Net font la part belle, entre autres, à London Grammar, nouveau groupe en provenance de Londres. C'est d'ailleurs réconfortant de voir que malgré le poids du sieur David, des artistes surgis de nulle part arrivent à mieux faire porter leur voix juste par la qualité de leur morceau. Morceau qui, je l'ai pas fait exprès, s'appelle Hey now. J'ai lu dans un blog que, pour se faire une idée de la musique de London Grammar, il fallait imaginer une chanson de The XX chanté par Florence Welsh (Florence + The Machine) produite par Massive Attack ; l'image est assez juste.



Là aussi, c'est une ballade. Mais quand London Grammar en parlant de now, tourne notre regard vers l'avenir,  Bowie, lui, regarde résolument en arrière. Où en sommes-nous maintenant donc, signe avant coureur du jour d'après, le jour où l'on n'est plus des héros. Car si Bowie reprend la pochette d'Heroes, c'est qu'il fait référence à ce "We can be heroes / Just for one day" que nous avons tous en tête. Eh oui : juste pour un jour. Mais le jour d'après, houlala, ça fait mal. Les London Grammar font partie des héros d'aujourd'hui. Plus Bowie. Il a vieilli. Comme ses fans, ces décideurs qui se sont hâtés de répandre sa nouvelle et plus ou moins bonne parole sur les affres de l'âge. Mais croyez-vous vraiment qu'à vingt ans, on se soucie de vieillir ? C'est un peu comme dans la pub qu'on voit ces temps-ci : non, à vingt ans, moi non plus je ne pensais pas à ma retraite. Bowie est sorti de la sienne pour annoncer la nôtre. C'est pas beau de vieillir ; ça fait un moment, perso, que je m'en doutais. Bowie, de toutes façons, a dépassé le stade des critiques, des commentaires et même du héros. C'est un dieu qui a inspiré, et continue à le faire, une multitude de musiciens. Il n'y a qu'à écouter cette récente reprise par les suédois de Simian Ghost de Be my wife, extrait de l'album Low de Bowie pour s'en rendre compte.



Oui, David Bowie est l'une des plus grosses racines de cet arbre aux multiples ramifications qu'est la musique pop rock d'aujourd'hui. Mais quand on admire un arbre, avouez quand même qu'on a plus tendance à regarder vers le haut, vers les nouvelles pousses, que vers les racines. Racines nourricières depuis longtemps enterrées. Where are we now ? Six pieds sous terre, that's where.

mercredi 16 janvier 2013

Récurrence

Comment parler de ce qui m'est arrivé aujourd'hui alors que je m'apprêtais à écrire un post sur Big Star ? D'une étrange coïncidence ? D'un curieux hasard ? J'utiliserais plus en l'occurrence le terme de récurrence. Dans son sens premier pour le Robert, soit "un retour, une répétition", mais aussi, quelque part, au sens médical défini par ce même Robert par la "reprise d'une maladie infectieuse due au réveil du pouvoir pathogène de germes déjà présents dans l'organisme (distinct de la rechute et de la récidive)". Je ne suis pas au lit avec 39 de fièvre, hein ; les germes présents dans mon organisme étaient musicaux et d'ailleurs, je ne savais même pas que j'étais malade. Mais prenons les choses dans l'ordre. Big Star est un groupe américain des années 70 cultissime chez nombre de musiciens. Le magazine Rolling Stones, par exemple, écrit en juillet 2010 que Big Star est à l'origine d'un travail qui n'a "jamais cessé d'inspirer des générations de rockers de la fin des années 70 à aujourd'hui". R.E.M. les a toujours cité comme une de leurs plus importantes influences. Pourtant vous seriez bien incapable, je pense, de me chanter, à moins d'être pointu, une chanson de Big Star. A vrai dire, la seule chanson rentrée dans la mémoire collective d'Alex Chilton, le leader du groupe, est celle qu'il chanta, à l'âge de 16 ans, au sein de son précédent groupe, les Box Tops : The letter. J'aurais pu choisir une autre vidéo que celle qui suit mais l'incident son et image qui arrive aux alentours d'1'20" donne finalement pas mal d'étrangeté et d'inconnu à une chanson que vous connaissez par cœur.


The Box Tops - The Letter par scootaway

Je n'ai connu Big Star que dans les années 80. Et encore... Car ma rencontre avec leur musique date de la reprise de deux de leurs chansons qui furent faites en 1984 par This Mortal Coil, sur le premier album du collectif de la maison de disque 4AD. Et si je savais qu'on leur devait Holocaust et Kangaroo, longtemps les seules versions que j'ai connues de ces titres furent, précisément, celles de This Mortal Coil.



Des années plus tard, en mars 2010, Alex Chilton disparaît. Sa mort fait naître une flopée d'articles sur le Net. Et c'est alors, pour la première fois, que je tombe sur une chanson de Big Star. Plus exactement que je tombe amoureux d'une chanson de Big Star. La chanson s'appelle Thirteen et c'est sans doute l'une des plus belles et des plus simples chansons d'amour adolescentes que je connaisse. Fragile et magnifique et, à mes oreilles, totalement intemporelle, tant elle pourrait faire partie, telle quelle, de n'importe quel album sortant ces jours-ci.



Ma réflexion fut alors de penser que je passais forcément à côté de quelque chose, vu la force de ces chansons. Or, après écoute, rapide certes, mais écoute quand même, je m'aperçus que non. Il n'y a guère qu'une poignée de chansons qui me convainquent vraiment sur ces trois albums et je laisse à d'autres le plaisir de s'en gaver. Très peu pour moi, merci. Allez savoir pourquoi, deux neurones se connectant dans les tréfonds de mon cerveau sans doute, je repense alors à The Innocents. Non, pas les Innocents, le groupe français, mais un petit groupe américain que j'avais découvert en 1982, l'âge de mes Thirteen, sur la radio dans laquelle je bossais déjà. C'était un single. Un 45 tours qui avait tellement su me charmer, que, des années plus tard, là encore, en trouvant l'album au fin fond de je ne sais quelle solderie, je m'étais précipité pour l'acheter. Ne serait-ce que pour me remettre dans l'oreille cette chanson mais dans le secret espoir, aussi, de trouver d'autres merveilles sur cet album. J'ai été très déçu. Aucune n'avait la force, l'ambiance de Hold my hand. Evidemment il y a des moments sur cette chanson que j'aime moins que d'autres, quand les guitares et la batterie s'en mêlent par exemple (sans parler du solo imbitable). Il n'empêche : je trouve toujours cette chanson magnifique aujourd'hui et suis persuadé que sa beauté apparaîtrait à tous si on la déshabillait de ces arrangements d'époque. Faites un effort et imaginez la donc ainsi.



Je ne suis pas le seul à me souvenir de The Innocents puisqu'outre le fait que cette chanson fut postée sur Youtube, j'ai trouvé leur nom dans quelques blogs comme celui-ci qui avoue son amour pour l'album. Il faut dire que quelques américains se souviennent encore de ce groupe via un documentaire diffusé à la télévision américaine où l'on suivait leur parcours depuis les petites salles de concerts jusqu'à la signature du contrat avec une maison de disques. Maison de disques qui les vira juste après devant le flop de cette chanson comme de leur album. Je ne me suis jamais demandé ce qu'étaient devenus The Innocents jusqu'à présent. C'est à dire jusqu'à ce post et la lecture du blog mentionné plus haut. Or, si la plupart des membres du groupe ont disparu de la circulation, il n'en va pas de même de Tommy Newman, en charge des claviers dans The Innocents. Et à la réflexion, ce sont bien ces claviers alliés à cette voix en forme de plainte qui instaurent toute l'ambiance de Hold my hand, qui lui insuffle toute sa beauté à mes oreilles. Tommy a repris son prénom de baptème : Thomas. Thomas Newman, grand compositeur de musiques de films, pour lequel j'avouais ici même, il y a un peu plus de deux mois, ma grande admiration. Sans savoir qu'il était responsable de quoique ce soit dans ce petit miracle de 1982, resté gravé dans un coin dans ma mémoire. Ce qui n'apparaîtra donc que comme un hasard ou une coïncidence à certains me plonge dans des abimes de réflexion. Mon attachement aux musiques de Thomas Newman date-t-il de, mettons, Six feet under ou American Beauty ou bien avait-il déjà, bien plus tôt, planté une petite graine, quelques germes attrapés en lui tenant la main (Hold my hand, je le rappelle, pour les moins attentifs) qui ne demandaient qu'à être réveillés ?

mardi 15 janvier 2013

Contexte africain

Dans ce que certains journaux musicaux ont désigné comme un des meilleurs livres musicaux de l'année dernière, David Byrne, tête pensante des Talking Heads, avance dans How music works que c'est le contexte plutôt que l'émotion qui est la force motrice de la créativité. Il entraîne ainsi son lecteur du mythique CBGB à New York jusqu'aux villages africains pour en faire la démonstration. Je n'ai pas lu le livre et ne peux donc m'étendre d'avantage. Mais le contexte, c'est ce que je m'applique à démontrer depuis pas mal de temps aussi, joue aussi sur notre perception, sur notre réception de la musique. Je me disais ça tandis que passait dans mon casque le superbe Amore, tiré du nom moins superbe (et donc fort justement nommé) Beauty de Ryuichi Sakamoto. En entendant la voix de Youssou N'dour en guest, je me disais que c'était au plus près de ce que je pouvais m'approcher de la musique africaine. Dans ce métissage. Livré à l'état brut, la musique africaine ne me parle pas aussi directement. J'aurais pu poster cette chanson mais afin de mieux illustrer mon propos, je lui ai préféré une autre chanson de l'album, toujours avec Youssou N'dour, mais où le chanteur sénégalais est encore plus présent : Diabaram.



Livré avec les claviers de Sakamoto, soudain c'est comme si je comprenais le wolof. Evidemment ce serait trop simple, comme toujours, de généraliser :  je n'ai certes pas grandi dans un village du Mali mais Djôrôlen d'Oumou Sangaré a su me bouleverser même si le titre revendique clairement ses origines sans fioritures occidentales. Toutefois, là encore, le contexte est important. Je n'ai pas découvert Djôrôlen au hasard d'une écoute à la radio mais au cinéma. Le titre était la musique de En attendant le bonheur d'Abderrahmane Sissako, un film plutôt contemplatif autour d'un jeune Malien attendant son tour de s'embarquer pour l'Europe dans un petit village mauritanien où il ne se passe pas grand chose. Un film dont la poésie aurait pu m'échapper, même si sa qualité est indéniable puisqu'il a remporté le prix de la presse internationale lors du festival de Cannes 2002. Mais là encore, tout dépend du contexte. Or, c'est précisément à Cannes que j'ai découvert le film. Il faut vous imaginer cette ruche où bruissent à chaque instant des dizaines et des dizaines de journalistes, de producteurs, de réalisateurs, d'acteurs, de badauds surtout, qui courent dans tous les sens pour ne pas être en retard qui à un rendez-vous, qui pour faire la queue, qui pour simplement espérer voir les stars qu'ils apercevront au mieux quelques minutes sur le tapis rouge. Ca va vite, ça fait du bruit, ça donne mal à la tête. Puis, après avoir subi ce stress de chaque instant, vous voici, par écran interposé, en Afrique, dans un film magique mais surtout d'un calme assourdissant où peut résonner et donc prendre toute son ampleur le chant magnifique d'Oumou Sangaré.



Si l'on m'avait fait écouter Djorolen ailleurs (l'aurais-je d'ailleurs écouté jusqu'au bout ?), je ne sais pas si ce titre aurait provoqué chez moi une telle émotion. Emotion toujours présente même si les images du film, elles, se sont un peu effacées. Mais émotion née d'un contexte donc. Si l'on parle du contexte cinéma, il se passe d'ailleurs exactement la même chose avec le Tajabone d'Ismaël Lo. Même si j'ai connu la chanson avant de voir le film, jamais elle ne m'avait touché comme elle a su le faire dans le passage qui suit de Tout sur ma mère. Et depuis, quand j'entends la chanson, l'émotion que je ressens doit énormément, je m'en rends compte, au fait que je l'ai entendu dans ce qui reste l'un des plus beaux films de Pedro Almodovar.



C'est bien parce que l'on est dans un contexte géographique, culturel particulier qu'on écoute telle ou telle musique. Je m'en suis aussi rendu compte lors d'un voyage en Guadeloupe, ou pas une radio ne diffusait autre chose que le zouk des artistes locaux ; j'avais beau être en France, cette France là, tant mieux pour elle, ne semblait jamais avoir entendu parler des Johnny Hallyday, Michel Sardou et autre Lara Fabian qui encombrent encore notre bande FM. Tout comme je n'ai jamais entendu parler de la majorité des artistes qui encombrent sans doute les bandes FM africaines. Pour qu'une musique africaine parvienne à mes oreilles, ou plutôt, excusez-moi pour les grands mots, à mon âme ou à mon coeur, il faut qu'elle se métisse. Comme lorsque Damon Albarn pose ses mains et ses claviers sur le Sabali d'Amadou & Mariam.



Evidemment j'ai du mal à estimer la production de ces artistes dans leur jus puisque, précisément, elle ne me parle pas. Elle peut même me mettre les nerfs en pelote, alors même que tout le monde crie au génie, comme ce fut le cas sur le Je pense à toi des mêmes Amadou & Mariam. Pourtant j'ai l'impression que leur production s'enrichit en rencontrant d'autres cultures ; attention, n'allez pas entendre dans mes propos des relents colonialistes, car je pense de la même façon qu'un musicien français a tout à gagner à métisser sa musique. Prenez Marc Minelli, dont la carrière de chanteur, musicien, DJ végétait depuis ses débuts dans les années 80. Jamais sa musique ne m'a intéressé (a-t-elle seulement intéressé quiconque ?). Jusqu'à ce qu'en 2003, il sorte l'album Electro Bamako, fruit de sa rencontre avec la chanteuse malienne, Mamani Keita, où brille le morceau d'ouvertur, N'ka Willy.



Le métissage, c'est l'amour de son prochain, quelqu'il soit, d'où qu'il vienne, et finalement de sa musique. C'est en me disant ça que j'ai repensé à une chanson que je n'avais pas écouté depuis des lustres mais qui illustre bien mon propos. Le cercle rouge est la chanson qui ouvrait le premier album d'Amina en 1990, oui, la même qui allait (presque) remporter l'Eurovision avec Le dernier qui a parlé. C'était certes l'album d'Amina, mais c'était aussi celui de son producteur, Martin Meissonier, qui était aussi, à l'époque, son compagnon. On peut donc dire que Le cercle rouge est une chanson d'amour : heureux dans sa création, malheureux dans le texte. Et l'amour, tout le monde comprend, quelque soit le contexte.

lundi 14 janvier 2013

Réinvention

Comme j'avais promis ici, revenons sur le cas POP ETC. Avant de s'appeler POP ETC, le groupe s'appelait The Morning Benders. D'après leur déclaration, le groupe a changé de nom car "bender" au Royaume Uni, est une expression d'argot qu'on peut traduire par "pédé", ce que ne savait pas ce groupe de San Francisco. Or le groupe faisant de la musique pour unir les gens et non les séparer, ils ne voulaient plus user d'un nom qu'ils avaient pourtant mis quelques années à installer, une véritable marque sur laquelle ils pouvaient capitaliser. Car les deux premiers albums très indie rock de Morning Benders avaient eu un large écho. Big Echo était d'ailleurs le nom de leur deuxième album en 2010 dont je garde un très bon souvenir et particulièrement de cette version live de Excuses, enregistrée avec toute une bande de leurs potes san franciscains dans un studio à la manière dont Phil Spector enregistrait ses morceaux dans les années 60 (c'est ce que Chris Chu, le leader des Morning Benders, explique au début de la vidéo).



Aussi louable soit cette déclaration d'intentions (je ne vais quand même pas taper sur un groupe qui change de nom quand il s'aperçoit qu'il a un caractère homophobe après ce que j'ai écrit hier !), je pense qu'il y a bien d'autres raisons pour lesquelles Chris Chu (le chanteur, compositeur, leader donc du groupe) a changé le nom de sa formation. D'abord parce qu'après avoir longtemps été un groupe de San Francisco, le groupe a déménagé à Brooklyn. Ensuite, il y a eu des changements dans la formation comme le départ de leur bassiste et l'arrivée du frère de Chris Chu. Enfin et surtout, leur son n'est plus du tout le même. D'indie rock, le groupe offre aujourd'hui une musique influencée par le r'n'b où la voix n'a pas peur d'être triturée à l'autotune et où les synthés prédominent sur les guitares. Résultat : des critiques incendiaires se sont abattues sur le premier album de POP ETC et je pense que ça ne s'arrangera pas avec leur nouveau single Speak up, qui outre les "défauts" plus hauts, cumule le fait d'être tiré de la bande originale du film Twilight : Breaking dawn (part 2) et dont le clip a été tourné sur un voilier.



Oui, je sais, le clip sur le voilier, vous vous dites que c'est pas un gros handicap. Sauf que le dernier groupe que j'ai vu enregistrer un clip sur un voilier, ce sont les malaimés (du moins à l'époque) Duran Duran avec ce qui est une référence en matière de clip sur un voilier, un genre limité je vous le concède mais quand même : Rio.



Bref, ça risque pas de s'arranger pour les Morning Benders, euh, pardon, POP ETC, qui n'ont finalement eu qu'un seul tort : l'envie de se réinventer. Pourtant si l'on gratte un peu, au dessus du vernis, on retrouve finalement le même Chris Chu. Reprenons Speak up par exemple. Ou plutôt faisons reprendre par Chris Chu, ce même Speak up, qui va jeter à nouveau l'ire sur Pop Etc, dans une version acoustique et que trouve-t-on ? Une chanson qui vaudrait des louanges aux Morning Benders.



La petite histoire de POP ETC me rappelle le sort qui fut réservé, par ses anciens fans, à Scritti Politti quand le groupe sortit son deuxième album en 1985. Le groupe n'avait jusqu'alors sorti qu'un album en 1982, le très estimé Songs to remember dont est extrait ce Jacques Derrida.



Trois ans plus tard, Green Gartside, chanteur, compositeur et donc leader vire ses acolytes ; le petit groupe post punk qui fit les belles heures du label indie Rough Trade (l'album fut un des plus vendus du label) signe chez Virgin et se fait produire par Arif Martin, gros producteur US, influencé qu'était alors Green Gartside par le son en provenance de New York. L'album s'appelle Cupid & Psyche et était annoncé par l'excellentissime single Wood beez.



Je ne sais pas si Scritti Politti a, à ce moment là, agrandi son audience, ou, bien plus, changé d'auditoire. Mais à réécouter ces deux albums, on trouve toujours le même auteur. Avec un souci de proposer autre chose. De se réinventer donc, en quelque sorte. Mais le plus bel exemple de réinvention qui me vienne à l'esprit est celui de Terry Hall. Le chanteur des légendaires Specials est passé par tant de réincarnations que je dépasserais largement mon quota de titres postés (déjà dépassé d'ailleurs) si je m'amusais à illustrer chacune de ses aventures musicales. En voici trois qui m'ont marqué dans les années 80 : les Fun Boy Three, avec qui il signa deux albums impeccables, The Colourfield, dans un style plus pastoral, formé par la suite et avec lesquels, là encore, il signa deux albums, puis, plus tard, Vegas, un duo qu'il forma avec Dave Stewart, qui venait de mettre fin aux Eurythmics.







Evidemment, on pourra me dire (ce qui fut dit) que d'album en album, la production de Terry Hall a perdu en qualité, ce que je ne démentirais les albums de Colourfield et plus encore de Vegas n'étant que partiellement réussis. Mais je crois que, tout autant que la qualité, c'est simplement le changement qu'on reproche à ces artistes, de manière paradoxale, puisqu'on reproche aussi à d'autres de ne pas changer. Quand vous voulez changer la formule, ou plutôt, la révolutionner, il faut que le résultat soit exemplaire, exceptionnel (à la manière d'un Damon Albarn passant de Blur à Gorillaz - qui a d'ailleurs invité Terry Hall sur un de ses titres). Sans quoi la baguette magique avec laquelle on veut se transformer risque de devenir elle même un (retour de) bâton.

dimanche 13 janvier 2013

Pas bien gay

Un peu de militantisme n'a jamais fait de mal à personne. Le rassemblement anti mariage pour tous qui se tient aujourd'hui à Paris m'énerve assez pour que je me rappelle quelques souvenirs musicaux et militants. Oui, je dis anti mariage pour tous et non pas, comme le crient tous ces haineux dominicaux, anti mariage homosexuel ; l'idée est ne pas faire de différence entre les uns et les autres, bref, que tout le monde ait les même droits et que certains se battent aujourd'hui pour l'inégalité des droits me semble refléter, bien plus encore que leur peur, voire leur haine donc de l'autre, la vraie nature de ces gens là, les mêmes, finalement que chantait Jacques Brel.



"Faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on ne pense pas/ On prie". Je n'aurais pas trouvé mieux. C'est curieux comme la religion qui, quelqu'elle soit, repose sur l'amour de son prochain, inspire à ses pratiquants souvent l'exact inverse. Tout autant un souvenir littéraire que musical, je me souviens de 44 minutes 44 secondes, livre du québécois Michel Tremblay, où un chanteur des années 60, trente ans plus tard, à l'occasion de la réédition de son unique album en CD (le titre du livre en est sa durée) se remémore sa vie et ce qu'elle aurait pu être s'il n'avait choisi, par souci d'honnêteté, de clamer, sur disque, son homosexualité. C'est déjà bien assez difficile de s'accepter tel qu'on est sans qu'on ait en plus à gérer la "non acceptation" des autres. Aujourd'hui, je pourrais choisir de m'en foutre mais je ne peux m'empêcher de penser, chiffre à l'appui, au malaise de l'ado qui se découvre gay, cause de nombreuses tentatives de suicides quand ce n'est pas de suicides réussis. Allez lire cet article par exemple qui explique, entre autres que, comme l'indique de nombreuses études, "ce n'est pas le fait d'être homosexuel qui conduit les jeunes au suicide, mais le comportement agressif des homophobes à l'égard des jeunes gays". Tout ça me renvoie à ma propre adolescence, dans les années 80, où la seule solution semblait être, à défaut de fuir la vie, fuir tout court, surtout si vous habitiez une petite ville de province, comme le chantaient les très militants Bronski Beat dans Smalltown boy.



A l'époque, les Bronski Beat se battaient déjà pour l'égalité des droits avec l'album The age of consent, qui, comme son titre l'indique, revendiquait le même âge légal pour pouvoir faire l'amour par consentement mutuel que l'on soit homo ou hétéro (ce qui n'était pas le cas à l'époque). Ils se battaient pour être au moins traités comme les autres, à défaut d'être comme les autres. Et je vous assure que ne pas se sentir comme les autres, surtout à l'adolescence, est un vrai poids, et parfois une souffrance. Avec le recul de mon âge, je peux entendre "pédé" ou "pédale" sans ciller et même reprendre le mot à mon compte ce qui est une manière de désarmer ceux qui utilisent le mot comme une insulte. Mais chaque fois que j'entendais le mot du haut de mes treize ou quatorze ans, cela me faisait si mal qu'il m'était impossible ne serait-ce que d'envisager proclamer que j'en étais. L'homosexualité était d'autant plus un noir tourment qu'elle ne s'apparentait pour moi qu'à l'ombre, des trucs cachés, honteux, glauques, sordides, à des ambiances malsaines et en cela la chanson ne m'aidait guère : un truc comme Kiss me hardy de Gainsbourg m'a toujours fait frissonner, mais le genre de sale frisson qu'on peut avoir quand on sent qu'on va se faire attaquer par un long serpent visqueux (eh oui, bien sûr, au cas où vous en douteriez, l'image n'est pas choisie au hasard).



Moi, j'aurais aimé des chansons d'amour comme les autres, des films avec des histoires d'amour comme les autres, des livres comme les autres : c'est à dire tournés vers la lumière, vers tout ce que l'amour a de solaire. Toutes les histoires d'amour que j'entendais, lisais ou voyais à l'époque étaient plombantes de noirceur ; en tout cas, rien n'y était jamais simple. Voilà avec quoi il vous faut dealer quand vous êtes un jeune ado gay et, même si l'époque n'est plus la même, j'ai l'impression que les choses n'ont pas tout à fait changé. Pourquoi (un exemple parmi tant d'autres) quand Patrick Bruel reprend Mon amant de Saint-Jean, chante-t-il :"Elle qui l'aimait tant / Elle le trouvait le plus beau de St Jean/ etc..." quand les vraies paroles sont "Moi qui l'aimais tant / Je le trouvais le plus beau de St Jean"... Parce que la chanson était originellement chantée par une femme ? Mouais, pas très convaincant. C'eut été tellement plus fort en chantant "Moi" d'autant que je ne pense pas que Bruel avait quoi que ce soit à craindre pour son image. Après il y a ceux qui n'utilisent ni le masculin ni le féminin pour chanter leur chanson d'amour, pouvant prêter à toutes les interprétations. Le style Daho. Mais ce qui peut être pris comme de la délicatesse peut aussi s'apparenter à de la lâcheté. Mais je ne vais pas ici m'énerver contre les artistes qui ne sont pas la cible de ma vindicte. Car ils savent aussi, ils savent avant d'autres, faire preuve de compréhension, d'empathie, et du coup devenir facteur de consolation. J'ai déjà dit (ici par exemple) comme Kate Bush avait su me consoler, m'accompagner : c'est con que je n'ai pas pris, ado, le temps d'écouter mais surtout de comprendre ses paroles. Dès 1978, dans Kashka from Bagdad, elle chantait sur cet homme qui vit avec un autre, "dans le pêché dit-on" ("lives in sin, they say"). Mais Kate n'est clairement pas du côté du "on" car dans cette maison - c'est le refrain - "la nuit, on les voit rire, s'aimer. Ils savent comment être heureux" (At night / They're seen / Laughing / Loving / They know / The way / To be / Happy). Et plus loin, elle avoue comme elle rêve d'être avec eux (I long to be with them). Du côté du bonheur. Du côté des gens qui s'aiment. Des gentils. J'aimerais l'être aujourd'hui et dire avec une grande mansuétude que tout cela n'est pas bien grave. Seulement je n'y arrive pas et souhaite que la pluie ait été assez froide cet après midi sur Paris pour qu'un bon paquet de ces gens-là finissent au lit. Définitivement.

samedi 12 janvier 2013

L'âge bête

Je ne sais pas si la chose la plus charmante/navrante concernant Les sucettes de France Gall est que Gainsbourg la lui ai faite chanter sans qu'elle en connaisse le sens (forcément) profond ou le commentaire de France Gall elle même, qui, justifiant son choix de ne plus l'interpréter sur scène, disait : "Ce n'est plus de mon âge". Et je vais tacher d'expliquer maintenant comment j'en suis arrivé là via une petite chanson triste de Divine Comedy qui s'est immiscée dans mes oreilles ce matin. Je ne me souvenais pas du nom de la chanson. Et, le hasard fait bien les choses, d'autant qu'il n'y a jamais de hasard, il s'agit de Timewatching.



J'aurais du préciser : Timewatching dans sa version 97 sur A short album about love, où Neil Hannon (soit Divine Comedy pour ceux qui ne le sauraient pas encore) reprenait ce morceau de Liberation avec une formation classique. C'est notamment avec ce morceau, mais dans sa version originelle, que j'ai connu Neil Hannon, qui, s'il avait déjà commis un album auparavant (passé totalement inaperçu) allait éclater au grand jour avec l'album Liberation. Il n'y a pas grand chose à jeter sur cet album où Divine Comedy passe allègrement de ce type de morceau, élégamment arrangés, tels de la dentelle, avec force cordes voire clavecin, à d'autres plus pop. Le morceau qui précédait Timewatching sur Liberation était précisément Europop, et à la réécoute, je me suis dit qu'il y avait comme un air de famille avec le Girls and boys de Blur, sorti un an plus tard, mais qui rafla pourtant bien plus dans les charts du monde entier.



Si vous avez une mémoire d'éléphant, vous en aurez conclu qu'un an avant Blur, c'était en 1993. Soit, eh oui, il y a vingt ans. Bon, c'est pas que je sois très anniversaire, mais il y a chez nous tous une propension à trouver tous ces anniversaires par dizaine assez symbolique. Mais symbolique de quoi en fait ? Du temps qui passe, ça, c'est vrai ma bonne dame ! Non, plus inconsciemment, ça doit nous chatouiller quelque part, nous rattraper par le colback en nous interpellant : "Hé ! T'as pas oublié un truc, là !?" Et qu'est-ce qu'il devient Divine Comedy ? A vrai dire, il y a bien longtemps que je ne m'étais pas posé la question et, en allant voir son site, la réponse - car il y en a une - m'a laissé coit. Divine Comedy, et quelques amis musiciens irlandais au nombre desquels David Gray, a sorti il y a un mois Oscar the hypno dog, une compilation autour des chiens dont les fonds iront à une association irlandaise de chiens en détresse. C'est pas que je me désintéresse du sort de ces pauvres toutous, mais les chiens, ça avait un côté Michel Drucker (le côté "Vous aimez les chiens ?") qui renvoyait à nouveau au temps qui passe, et pas forcément en bien. La chanson de Neil Hannon pour le machin (qui d'ailleurs lui donne son nom) n'est pas mauvaise mais purement anecdotique à l'instar de cette autre, seule disponible sur le Net, sur laquelle il chante dans un "super groupe" formé pour l'occasion, Harry Haller and the Hooligans.



A défaut de m'amuser, comme on le voit, Neil Hannon s'amuse toujours. Alors comment ça se fait que je n'ai plus envie de m'amuser avec lui ? En fait, ma relation avec Divine Comedy a eu des hauts et des bas. Mais cela correspondait-il vraiment aux hauts et bas de la carrière de Divine Comedy ou à ma propre envie de Divine Comedy ? Je veux dire par là que Divine Comedy a peu ou prou, à partir de Liberation, livré le même genre (très bon genre, hein, d'ailleurs) de musique, le même genre d'albums. Or je m'aperçois que si j'en ai parfaitement retenu quelques uns, j'en ai zappé totalement d'autres comme Regeneration, sorti en 2001 et dont je ne possède aucun extrait dans ma discothèque. C'est d'autant plus curieux que j'ai adoré l'album suivant, Absent friends, et plus particulièrement le brillantissime Our mutual friend.



En même temps, si je dois prendre une parabole alimentaire, il y a des périodes où vous avez envie de yaourt (ou de saumon ou de banane, enfin, bref, vous avez compris), où vous vous gavez de yaourt, puis vous n'en mangerez plus un durant des mois jusqu'à ce qu'une nouvelle période yaourt s'ouvre avec vous (et venez pas me dire que vous, non, parce que vous avez une alimentation parfaitement équilibrée). N'ai-je plus envie de Divine Comedy parce qu'il a dépassé la date de péremption ou simplement parce que j'ai changé de rayon ? Et si j'ai changé de rayon, à qui Divine Comedy fait envie pendant ce temps là ? C'est alors que m'est venu une autre image. Celle du film Toy story qui se posait la question de savoir ce que deviennent les jouets que nous avons adoré une fois qu'on ne joue plus avec. J'ose espérer qu'à l'instar des jouets du film qui trouvent d'autres propriétaires, les artistes (de qualité s'entend) trouvent d'autres amateurs (sinon ce serait trop triste, snif). Et puis, contrairement au gamin qui grandit et qui rejette alors tous ses jouets, l'amateur que je suis en a gardé beaucoup. Y compris certains auxquels je ou que je ne devrais plus jouer : des disques innommables mais qui sont bons comme des madeleines de Proust. Et là, devant la foule de lecteurs qui crient "Un exemple ! Un exemple !", j'ai été chercher une chanson de 1983, que par le passé, j'avais pensé poster jusqu'à ce que je me rende compte à quel point elle n'était pas très défendable. Sauf ici donc. Voici donc Nena (oui, oui, celle de 99 Luftballons) et un extrait de son premier album que j'ai du écouter un demi milliard de fois mais que vous n'êtes pas obligé d'apprécier, ce que je comprendrais parfaitement mais qui ne m'empêchera pas de monter le son la prochaine fois qu'elle passera dans mon Ipod en chantant les paroles en allemand dans le texte s'il vous plaît.



Et voyez-vous, c'est là où je me dis que la phrase de France Gall est charmante/navrante : parce que, même si je suis ridicule, je ne me dirais jamais que j'ai passé l'âge. CQFD.

PS : c'est souvent après avoir écrit l'un de ces posts que j'en cherche le titre. Après quelques minutes de réflexion, je me disais que "l'âge bête" m'allait bien. Mais alors, il me fallait aussi poster cette chanson dont Françoise Hardy avait signé le texte pour Diane Tell. Dont acte.