mardi 1 janvier 2013

Des paysages

Me voilà revenu aux affaires. Me voila revenu tout court. Avec un paquet d'images en tête et, dessus, un paquet de musiques, vu que mon traveling américain en Ford Mustang s'est effectué avec un remarquable système audio et mon Ipod en shuffle. Bon, on a essayé la radio parce que c'est bien, quand on se trouve dans un autre pays, d'être aussi dépaysé par des éléments tels que la musique qui passe à la radio. Mais, outre le fait que nous n'étions pas si dépaysés que ça (Pink, Ke$ha, Will I Am& Britney ou Psy, on connaît aussi), on en a très vite soupé des chansons de Noël même si je vous conseille le très-kitsh-mais-c'est-pour-ça-qu'on-l'aime Donde esta Santa Claus de Augie Rios, chanson de 1958 qu'il sera toujours temps de ressortir  l'année prochaine pour remplacer le Petit papa Noël de Tino Rossi. Le problème aussi, le problème surtout, c'est que ces musiques n'allaient pas du tout avec les panoramas grandioses et désertiques de Death Valley, par exemple. On peut tous se faire une idée de Death Valley, même si l'on y est jamais allé, via la pochette de l'album Joshua Tree de U2.


Ben oui, parce que même si vous avez un parc national américain qui s'appelle The Joshua Tree, la photo de l'album du même nom par Anton Corbijn, n'a pas été prise dans ce parc mais bien dans cet autre, Death Valley, encore plus monumental, grandiose, démesuré, et, en celà, bien en corrélation avec l'image du groupe que le photographe avait alors sous les yeux. Il faut dire que U2 voulait parler de l'Amérique dans The Joshua Tree, qu'il fallait une image qui en soit le reflet et ce fut donc celle-là. Et l'Amérique dont ils voulaient parler, c'était sans doute ce truc immense, gigantesque, avec désert à perte de vue, bref des paysages qui ne peuvent être que made in USA. Et quand on a tout ça en tête, plutôt que des chansons, on a sans doute envie d'hymnes, à chanter non dans des salles de concerts, mais bien dans des stades. Vous n'avez pas envie de grand mais de grandiose et c'est exactement ce que fut The Joshua Tree. C'était le premier album post Band Aid de U2 qui, lors de l'événement, était devenu LE groupe live le plus enthousiasmant du monde. A l'arrivée, c'était finalement assez logique que The Joshua Tree devienne ce disque événement vendu par camions entiers ; à viser le monumental, le groupe avait atteint son objectif. D'autant que chaque chanson de l'album est une réussite (sans doute le propre de tous les grands albums) même les moins connues de l'album comme la majorité de la face B, telle ce Red Hill Mining Town qui ouvrait cette face.



Avant d'entamer ce papier, je n'avais en tête que la trajectoire des Irlandais entre The Joshua Tree en 1987 et Achtung Baby en 1991. J'avais oublié ce détail qui a son importance : quand U2 a sorti The Joshua Tree, j'étais encore au vinyle, au grand format cartonné donc, alors que pour Achtung Baby, j'étais passé au CD, petit boitier plastique. Et c'est sans doute ce même rétrécissement qu'a subi U2, plus ou moins de son plein gré. Quand j'ai acheté The Joshua Tree en 1987, je me souviens que c'était cool d'écouter U2. Un an plus tard, au gré d'un de ces retours de manivelle si communs sur le chemin du succès dont il doit être pavé, ça ne l'était plus du tout. La faute sans doute à un album moins bon que les trois autres que le groupe venait d'enchaîner (Rattle and Hum donc, après War, The Unforgettable Fire et The Joshua Tree) mais pas seulement. Certains - j'en fus, sans doute - se mirent à brûler les idoles qu'ils vénéraient hier. Soudain, U2, et plus particulièrement Bono, son chanteur porte parole, n'était plus cool du tout, devenait fatigant à force de vouloir sauver le monde, avait la folie des grandeurs. Autant de gens qui n'étaient sans doute pas passer par la Death Valley, qui ne comprenait donc pas forcément l'effort du groupe à délivrer, en sons, l'équivalent de grands espaces, de faire de leur musique une communion avec des paysages immenses. Sans doute parce nous sommes trop petits, trop mesquins, trop moqueurs... Trop humains sans doute. Trop européens peut-être d'abord, car dans la vieille et petite Europe, on a du mal à envisager l'échelle américaine. Et au lieu de prendre de la grandeur, de tous nous élancer en volant dans les cieux derrière Bono, nous avons préféré voir les ailes de cet Icare moderne fondre au soleil et rire en le voyant se casser la gueule, puisque, c'est bien connu, le rire est dans la chute. Ce que nous avions oublié, c'est que Rattle and hum n'était qu'anecdotique ; constitué de reprises, lives et seulement une poignée d'inédits, il n'était destiné qu'à illustrer le documentaire filmé lors de leur tournée américaine de 1988. Ce que nous avons oublié aussi, c'est que U2 était encore un grand groupe capable d'agir en conséquences. Quand Bono s'est vu ainsi renvoyer cette image dans laquelle il ne se reconnaissait pas, il a littéralement pris les observateurs à leur propre piège en leur servant sur mesure une rock star créée de toutes pièces : d'où la veste en cuir, les écrans omniprésents et les lunettes façon mouche pour le biennommé The Fly, signe avant coureur de l'album à venir Achtung Baby.



Mieux, la musique du groupe était en osmose avec cette transformation : enregistrée à Berlin, au centre de cette vieille Europe dont elle se voulait le reflet, la musique n'offre plus d'envolée lyrique, se tourne vers un son moins ample, plus terre à terre sans doute, étriqué comme peut l'être la vieille Trabant dans lequel s'entasse le groupe dans l'une des multiples vignettes, également en couleur cette fois mais toujours signées Corbijn, qui composent la pochette d'Achtung baby. 


Et c'est avec cet album que la vieille Europe est retombée sous le charme de U2. Moi, le premier. Loin de moi l'idée de faire ici une thèse sur U2 ou de défendre l'intégralité de leur carrière : après la décennie des 90's où j'ai plutôt admiré leur esprit d'aventure et d'expérimentations, j'ai été déçu par l'album All the things that you can't leave behind, qui représentait précisément tout le contraire, et à peu près tout ce qui a suivi depuis. Mais, s'agissant de décrire mon voyage et mon retour ici, je n'ai rien trouvé de mieux que cette métaphore musicale. Du grand, de l'infiniment grand, difficile à raconter ou à imaginer pour ceux qui pensent et vivent petit. Si je dis "La nature est une force", le genre de choses que vous êtes amenés à penser quand vous contemplez ces paysages, vous allez, vous, penser, rempli d'un cynisme dont je sais aussi me faire le héraut, à un slogan publicitaire (et vous n'aurez pas tort). Des points de vue peu conciliables qui participent sans doute à l'image que nous nous faisons des Américains et l'image, sans doute, que les Américains ont des Européens.
Je revois à l'instant cette scène du Live Aid qui fut pour beaucoup dans la mythologie U2. Comme tous les autres artistes, U2 aurait du faire trois ou quatre chansons live. Ils n'en feront que deux. Soit moins que tous les autres et c'est pourtant d'eux dont on se souviendra à l'issue du concert. Il faut dire que l'une des deux chansons fut Bad dans une version qui dura près de quatorze minutes dans un concert où tout le monde avait droit à un quart d'heure. Pendant la chanson, dans ce passage qui reste gravé en mémoire, Bono sort de scène, se rend derrière les barrières où la foule s'entasse et finit par serrer dans ses bras une des spectatrices. Une image que j'ai trouvé belle autrefois mais que mon esprit cynique peut aujourd'hui trouver too much, un truc un peu trop pensé pour assoir une image. Il se trouve que Bono avait réellement vu, depuis la scène, cette jeune fan se faire écraser par la foule. Le seul moyen qu'il avait trouvé pour la sortir de là, fut, littéralement de la faire sortir par les vigiles en la leur indiquant. Bref de la grandeur d'âme que nous avons vite fait de réduire à de la stratégie : trop humain, je vous dis, trop humain.



PS : Vous vous souvenez du Joshua Tree de The Joshua Tree ? L'arbre de Josué (the Joshua tree donc) est cette espèce d'arbre qui ressemble à un yucca qui ne serait plus une plante d'appartement mais un véritable arbre. On ne le trouve qu'en Israël et dans le Sud Ouest des Etats Unis. Quand on ouvrait la pochette de l'album de U2, il y avait cette photo du groupe auprès de l'un des spécimens de l'espèce.


Eh bien l'arbre, depuis, a été abattu.
Bonne année 2013.

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