samedi 26 janvier 2013

La part du silence

Peut-on disparaître dans le silence ? Peut-on s'y avancer presque comme dans une mer jusqu'à s'y noyer ? S'y fondre comme dans le blanc du décor où finalement s'effacer ? Voilà la (les) question(s) que je me posais ce matin tandis que la radio diffusait cette très belle reprise de Such a shame par la Belge An Pierlé, une reprise qu’apparemment, elle fait depuis longtemps sur scène mais qui sera enfin sur disque le mois prochain.



Je ne pensais pas tant à An Pierlé, que je connais peu, en me posant cette question mais bien plus à l'auteur de cette chanson, Mark Hollis. Car si An Pierlé a un mérite, c'est bien d'avoir compris l'esprit de cette chanson ; si Mark Hollis la refaisait aujourd'hui, il la ferait surement ainsi. Avec juste un peu plus de creux. Un peu plus de silences. Je lisais récemment un article sur le blues qui disait que, pour ceux qui l'ont créé, le blues était "bien moins un musique qu'une hantise qu'on exorcise, bien moins une chanson qu'une longue plainte venue du fond de l'âme". Si j'en crois la définition, nombre des artistes que j'aime sont des bluesmen. Et Mark Hollis en est un sacré cas. Pourtant, au départ, qui entendait sa plainte derrière les oripeaux new wave du morceau éponyme de son groupe, Talk Talk ?



Je me souviens avoir tout de suite aimé ce morceau quand je l'ai découvert en 1982, puisqu'il entrait parfaitement dans le registre de ce que j'écoutais et appréciais à l'époque. Mais je n'avais jamais vu le clip (ou alors je l'avais totalement oublié). Or, ce que je voulais montrer mais que les images montrent encore plus, c'est qu'à l'époque, si plainte il y avait, elle parvenait sous forme de cris. Comme un enfant qui hurle son chagrin et finalement ne fait que casser les oreilles au lieu d'entraîner une réelle compassion. Et sur toutes les images, Mark Hollis donne l'impression de crier. Comme tout le monde, j'ai entendu et réentendu It's my life et Such a shame, deux ans plus tard. Ou plutôt comme tous les français puisque j'ai appris il y a peu que ces titres bien que standards chez nous furent largement ignorés au Royaume Uni dont ils sont originaires. Du coup, je n'ai pas d'attachement particulier à ces chansons, scies trop communes, mais me rends compte donc avec cette reprise que nous étions tous, Mark Hollis en premier, passés, à l'époque, à côté de leur vraie beauté. J'ai en revanche toujours les poils qui se dressent quand j'entends le solo de guitare qui ouvre Life's what you make it, le tube sorti deux ans plus tard, qui fut leur dernier et qui annonce, à mon sens, tout ce que Talk Talk et Mark Hollis allaient faire ensuite.



Il y a un climat dans cette chanson ; d'ailleurs on dirait plus que les musiciens cherchent à installer un climat qu'à réellement définir une chanson. C'est la dernière chanson réellement structurée qu'ils allaient livrer puisque l'album The Colour of spring dont il est issu, et plus encore les deux albums suivants, The spirit of Eden et The Laughing Stock étaient pleins de morceaux songeurs, hors format (les deux derniers albums ne contenaient que six morceaux chacun à pas moins de cinq minutes) et de plus en plus déshabillés. La plainte de Mark Hollis n'était plus criée mais presque chuchotée. Et c'est alors qu'on l'a le plus entendu. Ce serait facile aujourd'hui de vous dire que j'étais totalement emballé par ces albums, encensés par la critique, qui leur octroie l'invention du post rock, et qui font que Talk Talk fut cité comme influence par Portishead, Radiohead, DJ Shadow ou Death Cab For Cutie (comme le révèle leur note biographique Wikipedia). Mais ce serait faux. Après The colour of spring, je suis passé totalement à côté des albums suivants, ces albums fondateurs donc. J'ai recollé à leur son via Hex, album de leurs disciples Bark Psychosis, sorti en 1994, qui fut l'un des premiers albums clairement labellisé post rock, étiquette à laquelle aurait pu se substituer Talk Talk music. Sauf que Talk Talk, pour une musique qui parle peu... D'ailleurs c'est tout le paradoxe de Talk Talk, ce nom pour un groupe de moins en moins bavard, que ce soit sur disque ou ailleurs, Mark Hollis n'étant pas du genre à se répandre dans la presse (c'est un euphémisme).



Ayant quitté Mark Hollis sur The colour of spring, ce n'était finalement pas si étonnant que ça qu'il recroise ma route avec... The colour of spring. C'est en effet le titre de la première chanson de son album solo sorti en 1998 qui fait la part belle au silence. La vidéo ci-dessous par exemple n'est pas une erreur : le morceau The colour of spring débute bien par 18 secondes de silence.



L'album est une merveille totalement à part : hors norme, hors format, hors du temps. Ailleurs. Qu'on en veuille plus après l'avoir écouté n'est que pure logique. Sauf que la logique de Mark Hollis est précisément d'en faire moins, de laisser parler le silence, d'y disparaître donc. On ne l'a plus jamais entendu. Mais, il y a quelques jours est sorti une compilation de Talk Talk. Contrairement aux (nombreuses autres) précédentes orchestrées par leur maison de disques, les titres de celle-ci, baptisée Natural Order 1982-1991, ont été choisis et rassemblées par Mark Hollis lui même. Il n'y a aucun des tubes de Talk Talk sur cette compilation mais des titres qui montrent, peut-être pas dès le départ, mais au moins dès le deuxième album, que Mark Hollis a toujours voulu faire autre chose, amener vers d'autres territoires comme en témoigne par exemple le très beau Renee, qu'on n'avait pas assez écouté planqué qu'il était sur l'album It's my life, écrasé par les rouleaux compresseurs It's my life et Such a shame.



Dans le très beau livre de Jeanette Winterson, Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?, il y a ce très beau passage sur le silence : "Raconter une histoire permet d'exercer un contrôle tout en laissant de l'espace, une ouverture. C'est une version qui n'est jamais définitive. On se prend à espérer que les silences seront entendus par quelqu'un d'autre, pour que l'histoire perdure, soit de nouveau racontée. En écrivant, on offre le silence autant que l'histoire. Les mots sont la part du silence qui peut être exprimée". Ecrire de la musique est la manière qu'a choisi Mark Hollis pour raconter une histoire. Et si vous remplacez les mots par les chansons, vous aurez une bonne idée de ce que je ressens de la musique de Mark Hollis.

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