Un peu de militantisme n'a jamais fait de mal à personne. Le rassemblement anti mariage pour tous qui se tient aujourd'hui à Paris m'énerve assez pour que je me rappelle quelques souvenirs musicaux et militants. Oui, je dis anti mariage pour tous et non pas, comme le crient tous ces haineux dominicaux, anti mariage homosexuel ; l'idée est ne pas faire de différence entre les uns et les autres, bref, que tout le monde ait les même droits et que certains se battent aujourd'hui pour l'inégalité des droits me semble refléter, bien plus encore que leur peur, voire leur haine donc de l'autre, la vraie nature de ces gens là, les mêmes, finalement que chantait Jacques Brel.
"Faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on ne pense pas/ On prie". Je n'aurais pas trouvé mieux. C'est curieux comme la religion qui, quelqu'elle soit, repose sur l'amour de son prochain, inspire à ses pratiquants souvent l'exact inverse. Tout autant un souvenir littéraire que musical, je me souviens de 44 minutes 44 secondes, livre du québécois Michel Tremblay, où un chanteur des années 60, trente ans plus tard, à l'occasion de la réédition de son unique album en CD (le titre du livre en est sa durée) se remémore sa vie et ce qu'elle aurait pu être s'il n'avait choisi, par souci d'honnêteté, de clamer, sur disque, son homosexualité. C'est déjà bien assez difficile de s'accepter tel qu'on est sans qu'on ait en plus à gérer la "non acceptation" des autres. Aujourd'hui, je pourrais choisir de m'en foutre mais je ne peux m'empêcher de penser, chiffre à l'appui, au malaise de l'ado qui se découvre gay, cause de nombreuses tentatives de suicides quand ce n'est pas de suicides réussis. Allez lire cet article par exemple qui explique, entre autres que, comme l'indique de nombreuses études, "ce n'est pas le fait d'être homosexuel qui conduit les jeunes au suicide, mais le comportement agressif des homophobes à l'égard des jeunes gays". Tout ça me renvoie à ma propre adolescence, dans les années 80, où la seule solution semblait être, à défaut de fuir la vie, fuir tout court, surtout si vous habitiez une petite ville de province, comme le chantaient les très militants Bronski Beat dans Smalltown boy.
A l'époque, les Bronski Beat se battaient déjà pour l'égalité des droits avec l'album The age of consent, qui, comme son titre l'indique, revendiquait le même âge légal pour pouvoir faire l'amour par consentement mutuel que l'on soit homo ou hétéro (ce qui n'était pas le cas à l'époque). Ils se battaient pour être au moins traités comme les autres, à défaut d'être comme les autres. Et je vous assure que ne pas se sentir comme les autres, surtout à l'adolescence, est un vrai poids, et parfois une souffrance. Avec le recul de mon âge, je peux entendre "pédé" ou "pédale" sans ciller et même reprendre le mot à mon compte ce qui est une manière de désarmer ceux qui utilisent le mot comme une insulte. Mais chaque fois que j'entendais le mot du haut de mes treize ou quatorze ans, cela me faisait si mal qu'il m'était impossible ne serait-ce que d'envisager proclamer que j'en étais. L'homosexualité était d'autant plus un noir tourment qu'elle ne s'apparentait pour moi qu'à l'ombre, des trucs cachés, honteux, glauques, sordides, à des ambiances malsaines et en cela la chanson ne m'aidait guère : un truc comme Kiss me hardy de Gainsbourg m'a toujours fait frissonner, mais le genre de sale frisson qu'on peut avoir quand on sent qu'on va se faire attaquer par un long serpent visqueux (eh oui, bien sûr, au cas où vous en douteriez, l'image n'est pas choisie au hasard).
Moi, j'aurais aimé des chansons d'amour comme les autres, des films avec des histoires d'amour comme les autres, des livres comme les autres : c'est à dire tournés vers la lumière, vers tout ce que l'amour a de solaire. Toutes les histoires d'amour que j'entendais, lisais ou voyais à l'époque étaient plombantes de noirceur ; en tout cas, rien n'y était jamais simple. Voilà avec quoi il vous faut dealer quand vous êtes un jeune ado gay et, même si l'époque n'est plus la même, j'ai l'impression que les choses n'ont pas tout à fait changé. Pourquoi (un exemple parmi tant d'autres) quand Patrick Bruel reprend Mon amant de Saint-Jean, chante-t-il :"Elle qui l'aimait tant / Elle le trouvait le plus beau de St Jean/ etc..." quand les vraies paroles sont "Moi qui l'aimais tant / Je le trouvais le plus beau de St Jean"... Parce que la chanson était originellement chantée par une femme ? Mouais, pas très convaincant. C'eut été tellement plus fort en chantant "Moi" d'autant que je ne pense pas que Bruel avait quoi que ce soit à craindre pour son image. Après il y a ceux qui n'utilisent ni le masculin ni le féminin pour chanter leur chanson d'amour, pouvant prêter à toutes les interprétations. Le style Daho. Mais ce qui peut être pris comme de la délicatesse peut aussi s'apparenter à de la lâcheté. Mais je ne vais pas ici m'énerver contre les artistes qui ne sont pas la cible de ma vindicte. Car ils savent aussi, ils savent avant d'autres, faire preuve de compréhension, d'empathie, et du coup devenir facteur de consolation. J'ai déjà dit (ici par exemple) comme Kate Bush avait su me consoler, m'accompagner : c'est con que je n'ai pas pris, ado, le temps d'écouter mais surtout de comprendre ses paroles. Dès 1978, dans Kashka from Bagdad, elle chantait sur cet homme qui vit avec un autre, "dans le pêché dit-on" ("lives in sin, they say"). Mais Kate n'est clairement pas du côté du "on" car dans cette maison - c'est le refrain - "la nuit, on les voit rire, s'aimer. Ils savent comment être heureux" (At night / They're seen / Laughing / Loving / They know / The way / To be / Happy). Et plus loin, elle avoue comme elle rêve d'être avec eux (I long to be with them). Du côté du bonheur. Du côté des gens qui s'aiment. Des gentils. J'aimerais l'être aujourd'hui et dire avec une grande mansuétude que tout cela n'est pas bien grave. Seulement je n'y arrive pas et souhaite que la pluie ait été assez froide cet après midi sur Paris pour qu'un bon paquet de ces gens-là finissent au lit. Définitivement.
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