jeudi 31 janvier 2013

Le charme et la grâce

A me relire, j'ai remarqué que j'écrivais souvent, pour un titre, que j'étais (tombé) sous le charme. Pour être précis, je m'en aperçois dès l'écriture. Souvent il me faut trouver des synonymes ou des paraphrases quand bien souvent le mot juste, celui dont on est à la recherche quand on écrit, est celui-là : le charme. Et il y a une raison à cela : le premier sens du mot charme, c'est la formule magique, dérivé du latin carmen pour "chant magique". A ne pas confondre avec Carmel dont le chant était pourtant magique en 1987 quand elle reprenait en live la chanson titre de son album paru l'année précédente, The Falling.



Tout ça relevait plutôt du hasard puisque avant de commencer, je ne savais pas que j'allais tomber sur "chant magique", ni sur carmen, et par extension, Carmel. Mais il n'y a pas de hasard car mon but était également, comme énoncé dans le titre, de vous parler de la grâce. La grâce dont le sens éthymologique est l'aide de Dieu. Or Dieu pour moi, c'est un peu comme la magie, un truc un peu extraordinaire qu'on a du mal à expliquer. Durant les années 80 et le temps de trois albums, Carmel, qu'on réduit souvent à tort à sa seule chanteuse, Carmel McCourt, a eu la grâce (du moins si l'on omet l'innommable duo avec Johnny Hallyday, J'oublierais ton nom dont il vaut mieux, comme le laisse entendre le titre oublier jusqu'au nom), le temps de trois très beaux albums.

 
Là vous me prenez en flagrant délit de mensonge, mensonge par omission (décidément, on y revient), vu que j'ai délibérément mis de côté Everybody's got a little... soul, album paru en 1987, soit un peu trop vite après The Falling et sensé, j'imagine, capitaliser sur l'énorme succès de Sally, ce qu'il ne fit pas du tout, allant même jusqu'à faire de l'ombre au très beau Set me free, qu'on n'écouta, du coup donc, pas assez. Puis on n'écouta plus du tout Carmel car il n'y avait plus grand chose (plus rien ?) à écouter. Je pourrais vous dire que Carmel avait sans doute raté le train du trip hop qu'elle préfigurait ; réécoutez The Falling par exemple, cette voix soul, ces beats un peu au ralenti, et ces nappes de synthé froid et vous verrez qu'on n'est pas si loin que ça du compte. Mais je préfère dire que Carmel avait perdu la grâce. Je n'étais plus sous le charme. Revenons à ce mot puisque je le réservais à la base pour quelqu'un d'autre. En fait, quand je me suis dit que j'allais écrire sur le charme, c'est parce que j'avais aussi bien la chanson parfaite pour parler du sujet que la personne parfaite qui, cerise sur le gâteau, interprète la dite chanson : soit donc Jean-Louis Murat chantant Le charme.



C'est une chanson assez peu connue de l'Auvergnat, qu'il faut aller chercher sur la bande originale du film Mademoiselle Personne, un film qui n'existe pas, ou, en tout cas, que personne n'a jamais vu. Tourné par une jeune réalisatrice, Pascal Bailly, sur la tournée 94 de Murat, ce devait être une fiction autour de cette tournée, avec Murat dans son propre rôle, et Elodie Bouchez dans celui de la fan. Je sais aussi que Romain Duris était au générique. Malgré tout ça donc, Mademoiselle Personne n'existe que via sa bande originale offerte en CD bonus avec le premier live de Murat paru en 1995. Autant de petits détails que je connais parce qu'archi fan de Murat. Et être fan, c'est être sous le charme. Ca ne s'explique pas. Ou mal. Pourquoi lui plus qu'un autre ? Bon d'accord, parce qu'il fait de la bonne musique est un bon début. Mais ce n'est pas tout. Ce n'est pas, par exemple, ce qui vous fait pleurer quand vous voyez, comme je l'écrivais ici, le bonhomme en live ; le spectacle a beau être réjouissant sur scène, quand même ! Un peu de retenue ! Sauf que vous n'en avez précisément plus aucune : vous êtes envoûté. A la merci d'un sort qui vous enlève tout jugement critique, toute bonne foi, un truc qui va au delà de la simple écoute de bonne musique. Un lien surnaturel qui fait que tout ce qui touche l'idole et tout ce que touche l'idole est sacré. Et donc ça n'aide pas si, de manière objective, le fruit de votre amour paranormal est au summum de son pouvoir créatif comme le fut Murat dès Cheyenne autumn et quelques albums après cela. Il pouvait alors rendre merveilleux n'importe quoi, d'un improbable duo avec Mylène Farmer jusqu'à la reprise d'une petite chanson rêche façon rock français d'alors signée Louise Feron (paix à son âme) à qui il faisait atteindre des sommets de rondeur pop et moite (tous ses "Aaah ! Je vais tomber" sur le refrain son éminemment érotiques) et au titre prédestiné pour ce post : Tomber sous le charme. 



Je vais essayer de retrouver un peu de retenue pour le reste de ce post, chose qui ne sera pas difficile à faire car il y a bien longtemps que le charme s'est rompu concernant Jean-Louis. Parce que, pour moi en tout cas, Murat n'a plus la grâce et ce n'est même pas du à ses multiples tentatives (parfois réussies) de casser son image d'éternel amoureux romantique en apparaissant en vieil ivrogne défait aussi insupportable qu'incompréhensible dans les médias. Non, c'est juste qu'on entend plus que le savoir faire dans les chansons de Murat, pas cette magie qui en faisait quelque chose de totalement à part dans le paysage musical français. Aujourd'hui Murat se répète et s'il se parodie, ce n'est pas dans ses apparitions en public, mais, finalement, bien plus en déversant la même musique qui n'est pas mauvaise au demeurant mais laisse un sentiment, non pas nouveau, comme il le chantait, mais bien plus d'eau tiède ; j'ai l'impression qu'il fait de la musique comme il pisse et je préfèrerais qu'il se retienne de temps en temps parce que ce n'est pas comme ça que je vais retrouver les sommets vers lesquels il me transportait jusqu'à, disons, Lillith en 2003 qui fut pour moi son dernier grand album. Avant d'écrire ces lignes, je savais seulement que Murat allait sortir un album cette année, comme chaque année finalement. Mais je ne savais pas que son nouveau single était sur le Net depuis deux jours seulement. J'avais appris que, comme tant d'autres, il s'était fait virer de sa précédente maison de disques et je m'étais pris à espérer que, tel un coup de pied dans le cul, cela allait l'amener à parfaire les moindres détails de ses nouvelles chansons, histoire, pourquoi pas, de retrouver le charme initial et de provoquer une de ces belles histoires de revanche/rédemption dont le show biz a le secret. Hélas, Over and over, au titre, là-encore, prédestiné, ne fait que confirmer que Murat pisse encore et encore la même copie.



Même s'il reste toujours à part dans ma discothèque malgré tout ce que je viens d'écrire (qui aime bien...), Murat est comme les autres artistes. La grâce l'a touché un temps, puis s'est retirée, brisant le charme. J'aime à me dire que la grâce se pose sur l'épaule de certains artistes et y reste un temps. Ce doit d'ailleurs être comme pour les oiseaux : la grâce doit avoir envie de s'envoler de temps en temps. Rares sont les oiseaux qui se posent définitivement. Avec la grâce agit le charme. Et si une fois enchanté, on est bien incapable de dire pourquoi, on sait en revanche quand cela a commencé ; on tombe sous le charme, je vous le rappelle, et quand on tombe, on le fait rarement au ralenti. Clairement le charme a débuté à Cheyenne Autumn. Pas Si je devais manquer de toi, où Murat traîne encore une voix trop nasillarde, mais tout le reste de l'album sorti deux ans après. Le réécoutant pour précisément compléter ce post par LA chanson par laquelle tout avait commencé, il m'était strictement impossible d'en choisir une, chacune disputant à l'autre la revendication de ce titre. Très clairement, il n'y en a pas : c'est vraiment tout l'album. Mais très clairement aussi toutefois est apparue la chanson que j'allais poster ici même si elle n'est pas de Murat mais est une adaptation d'une bossa nova chantée notamment par Joao Gilberto, E Preciso Perdoar. Cela fait dix ans (si vous avez bien tout lu), que le charme n'agit plus. Dix ans passés loin de la musique de Murat. Pourtant à une heure très sombre, il y a quelques mois, il y a eu cette chanson. M'est apparue cette chanson. J'attendais depuis quelques heures déjà la mort de ma mère dont la vie n'était réduite qu'à de longues et douloureuses inspirations. J'avais sa main dans la mienne et je pensais qu'il fallait que ça s'arrête, que c'était le moment, qu'elle laisse aller, même si j'en étais très malheureux. Alors, dans ma tête, est venue se ficher cette chanson qui n'en finissait plus de tourner en boucle et que j'ai peut-être même, à un moment, fredonner à ma mère, espérant la réconforter, espérant qu'elle m'entende. Et cela m'a sans doute apaisé à la manière d'un charme. J'avais totalement oublié ce moment jusqu'à ce que la chanson résonne à nouveau dans mon casque il y a quelques jours. Son charme aujourd'hui, c'est de provoquer mes larmes, mais, je vous rassure, avec douceur. Avec grâce, si vous préférez.
(normalement ici, vous auriez du avoir le titre mais pour de sombres raisons de droits... Bref allez écouter ici sur Deezer, la chanson s'appelle Pars)

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