mardi 29 janvier 2013

On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans

Il m'est arrivé un drôle de truc lors de mon récent voyage aux Etats Unis. Nous étions à Los Angeles quand mon copain, voulant me faire plaisir, m'abandonne (parce qu'il n'est pas aussi fan que moi et s'ennuie vite dans un magasin de disques) chez Amoeba Records. Amoeba doit être l'un des plus grands disquaires que j'ai visité même si la photo suivante ne rend pas forcément les dimensions dantesques du lieu.


Me voici donc dans ce qui pourrait être le paradis de n'importe quel amateur de musiques. Et c'eut été mon paradis si j'y étais allé quelques années plus tôt, c'est à dire avant la dématérialisation du support. Or, m'y voici totalement désorienté. Je passe d'un rayon à l'autre mais ne cherche vraiment rien, n'ayant, précisément, rien à chercher. Depuis le Web, c'est devenu si facile de combler ses désirs que le plus compliqué est d'en trouver de nouveaux. Des disques que vous aviez oublié qui ressurgissent dans votre mémoire et sur lesquels vous aimeriez bien remettre la main. Pas plus tard qu'hier, je me disais que ce serait bien de retomber sur l'album de Coati Mundi de1983 sur lequel je me souvenais avoir adoré un morceau plutôt curieux au milieu du reste, c'est à dire des trucs à la Kid Creole, Coati Mundi étant le percussioniste dudit Kid Creole. J'aurais mis des mois à le retrouver dans une solderie, voire des années. J'ai mis deux minutes à le retrouver sur le Net, ravi de retrouver Prisonner of my principles peu ou prou comme je l'avais laissé.



Le mieux, c'est évidemment d'arriver avec une liste. Quand vous n'avez pas de liste, vous finissez par vous noyer dans cet océan de CD, papillonnant mais ne vous arrêtant pas vraiment. Or c'est bien plus simple de s'arrêter quand on papillonne sur Internet. Ca peut paraître paradoxal tant les possibilités offertes par le Web démultiplient les choix d'un seul pauvre et petit (aussi grand soit-il) disquaire. Mais ces choix ne vous arrivent pas tous ensemble à travers la gueule contrairement à l'impression que vous pouvez avoir chez le disquaire. Il y a plus de choix, certes, mais il arrive par l'univers policé de quelques pages où seulement quelques uns sont possibles. A vous d'effectuer la ballade que vous désirerez faire à partir de ces possibilités initiales. Et le facteur temps n'existe plus ; pour revenir à Amoeba records, je savais que je n'avais que deux heures avant que mon copain revienne. Je peux avoir moins de temps sur le Web, mais je peux y revenir quand je le veux. Je ne veux pas avoir l'air de dénigrer les disquaires où j'ai passé de longues heures et continue à le faire parfois ; il y a, par exemple, un excellent disquaire à Princeton où j'adore me rendre mais peut-être, précisément, parce qu'il est plus petit et permet de me laisser croire que je peux en faire le tour complet, en explorer toutes les possibilités (ce qui est illusoire mais bon). Enfin, toujours est-il qu'après ma petite escapade à Los Angeles, je me suis dit que j'en avais fini avec ce qui s'apparente, parfois, à de la boulimie. Un truc à voir, pensais-je alors fugitivement, avec le temps qui passe, avec le fait d'avoir grandi, de ne plus se comporter en grand enfant. Et puis, dimanche, me voici sur le Web, papillonnant donc. Je crois que j'ai oublié de préciser un avantage incontestable de la toile sur le disquaire : on peut y écouter les disques. Je veux dire on peut TOUS les écouter. En cela, ça me rappelle le bon temps des radios libres et au-delà, le temps où les maisons de disques envoyaient toutes leurs nouveautés aux radios. On ouvrait les paquets comme, chaque jour, un nouveau cadeau de Noël avec les mêmes anticipations, les mêmes déceptions souvent, et les mêmes joies parfois. J'évoque des souvenirs, or c'est précisément pour ne pas systématiquement les évoquer ici que j'étais parti sur le Web dans l'espoir de trouver quelques nouveautés à poster dans ces pages ; mon voeu a été exaucé bien au-delà de mes espérances. J'y trouvais par exemple ce petit morceau électro entêtant du londonien Tourist aussitôt téléchargé.


Un morceau qui n'est pas sans me rappeler cette approche un peu si ce n'est conceptuelle, disons intelligente de faire de la dance music electro partagée par ses compatriotes de Disclosure ou Alunageorge l'année dernière. Disclosure et Alunageorge, deux duos qui après des singles impeccables, font naître tous les espoirs pour leur premier album prévu cette année, et qui comblent les rêves de tous les bloggeurs du monde entier en s'associant et White noise répond à toutes les attentes que suscitait cette collaboration.



Je tombais sous le charme du remix par Flume du titre Higher de Ta-Ku, aux sonorités clairement hip hop mais qui met de si bonne humeur qu'il m'était difficile là encore de ne pas le télécharger.



Et même si l'humeur est plus sombre sur ce remix du Skyfall d'Adele, un peu comme si la chanteuse avait quitté le devant de la scène où elle incarne une Shirley Bassey des temps modernes pour gagner les backrooms, le remix signé Soul Circuit est si réussi qu'il eut été dommage de m'en priver (d'autant qu'il est comme les autres en téléchargement gratuit).



Après il y a eu un autre titre, puis un autre, puis encore un autre, et un autre, et un autre... Et j'arrivais à vingt cinq nouveaux titres dans ma discothèque. Une nouvelle crise de boulimie. Une preuve tangible que ma crise d'adolescence n'est pas totalement passée. Car voyez-vous, ce que je désignerais globalement de pop music a ce pouvoir de faire ressortir mes boutons d'acné (c'est heureusement, enfin je l'espère, une image). Une bonne pop song peut me faire perdre toute mesure, un truc précisément adulte que je ne peux pas avoir si j'ai dix sept ans. C'est précisément l'âge de Chlöe Howl. Oui, avec des trémas sur le "o" parce qu'on se démarque comme on peut quand on a dix sept ans. J'ai lu quelque part que Chlöe Howl était l'une des premières (et sans doute pas la dernière) tentatives par une maison de disque de trouver une nouvelle Adèle. Mais une Adèle, avec qui elle partage, si ce n'est la voix, du moins des intonations, qui écouterait Lilly Allen et Foster The People en boucle ; sa chanson reprend, limite plagiat, tout le monde le dit et tout le monde a raison, le gimmick de Pumped up kicks. Bref, c'est pas d'une originalité folle, c'est léger, ce n'est pas l'oeuvre du siècle. Je sais tout ça. Mais malgré tout ça, malgré les vingt quatre autres titres téléchargés et les autres, je suis en boucle totale sur No strings. Je ne peux plus m'en passer. Peut-être que ça s'arrêtera quand tout le monde écoutera (ce que je lui souhaite) Chlöe Howl et que, du coup, sa chanson aura fini de m'entraîner aussi haut qu'une bulle. De champagne, de savon et qui fera "pop!" quand elle éclatera comme un bouton d'acné. Peut-être qu'un jour, qui sait, je n'aurais plus dix sept ans. Ou, du moins, j'aurais fini d'y croire.

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