vendredi 25 janvier 2013

Un petit je ne sais quoi

Quand la lecture aléatoire est enclenchée dans Itunes - ce qu'elle est la plupart du temps, il arrive souvent que le hasard porte son choix sur un drôle de morceau, un truc curieux qui n'a rien à voir avec le reste de la programmation : une joyeuse fanfare africaine, un morceau yéyé latino, un rap un peu smooth... C'est à ce moment là que mon copain me dit : "Il faut trier les morceaux de Nova". Les morceaux de Nova, ce sont ceux des compils Les Racines de Nova et 25 ans de Radio Nova. Il serait plus précis de dire des coffrets, coffrets de 25 CD chacun ce qui explique, même si j'en ai déjà enlevé un certain nombre, que je tombe régulièrement dessus. Mais je ne me résous pas à trier ce qui reste parce que ça ne me gêne foncièrement pas. Au contraire. Ce que j'aime chez Radio Nova, dont ces coffrets sont un bon reflet, c'est, au delà du mélange des styles, un bon goût dans la programmation qui fait qu'on est jamais agacé par un morceau au point de vouloir zapper. Et c'est la seule station qui reste hors format, ou plutôt qui n'obéit qu'à un seul format : le sien, un format où l'amour de la bonne musique passe avant des considérations mercantiles qui voudraient, par exemple, que Goldman soit plus fédérateur, Hallyday, plus rassembleur et le tout, générateur d'audience. Oui, Nova fait moins d'audience que d'autres radios mais je suis persuadé que ses auditeurs lui sont fidèles tant il est difficile de passer à quoique ce soit après elle, tant la programmation, ailleurs, vous apparaît d'emblée trop calibrée. Bon, je devrais préciser : aucun morceau ne m'agace réellement sur Nova quand je l'entends, c'est à dire quand j'ai besoin d'un fond musical. Si je me mets à réellement l'écouter, la sensation est différente. Mais si je dois écouter la radio, c'est plus pour y entendre des gens qui parlent. Quand j'écoute de la musique, je ne mets pas la radio, je mets des disques de ma discothèque. Mais il m'arrive aussi, histoire de vous compliquer un peu les choses, quand la lecture est donc en aléatoire, de me servir de ma discothèque, comme d'un équivalent de Radio Nova ; quelque chose que j'entends, pas que j'écoute. Et puis, si le ruban musical n'était fait que de perles, on finirait par ne même plus les remarquer ; il est important d'avoir des strass pour mieux voir un diamant briller. Je me rends compte que l'image revient à minorer ces morceaux, ce qui ne leur va pas à tous ; alors prenons en une autre. Avoir un morceau qui dénote, c'est aussi une fenêtre ouverte et c'est bon, parfois, de savoir prendre l'air. C'est ainsi qu'à chaque fois que j'écoute Pretty Ballerina de The Left Banke, je me dis que c'est une chance d'avoir cette compil où découvrir des morceaux comme celui-ci que je ne serais jamais allé chercher tout seul puisque ce n'est pas exactement mon registre habituel.



En fait tout ça me rappelle l'époque bénie où je faisais moi-même la programmation de mes émissions à la radio. Je ne parle pas de mes années en radio libre où je ne passais QUE des morceaux que j'aimais et encore moins de mes dernières années en radio où je ne programmais QUE des morceaux que je n'aimais pas (et qu'il me fallait choisir parmi un catalogue infect qu'on appelle, dans les locales de Radio France, la base - et effectivement, c'est on ne peut plus basique). Non, je parle de ce moment, où la programmation n'était pas assistée par ordinateur mais où elle était, littéralement choisie à la main. Evidemment, il s'agissait là encore de remplir des cases : ici, un tube, là, un gold, et à tel autre endroit, une nouveauté. Mais j'aimais cet exercice de style dans lequel je créais des ambiances en passant tel petit tube un peu secondaire, telle chanson qu'on a bien connu mais qu'on croyait oublié, ce grain de sel qui faisait que la programmation était unique et participait, du moins j'aimais le croire, à faire grimper l'audience. Ca ne l'a en tout cas jamais empêché de grimper. Evidemment il fallait en user avec parcimonie : une fois déterrée, il fallait enterrer à nouveau la chanson durant de longs mois avant de s'en resservir et c'est pourquoi, aujourd'hui, ce genre de chanson ne peut exister sur des radios où chaque titre est géré pour revenir au moins une fois par semaine (quand ce n'est pas plusieurs fois par jour) entraînant, en ce qui me concerne, une très grande lassitude. Or, même si vous n'aviez pas vécu en 1963, époque à laquelle cette chanson eut son heure de gloire, je suis persuadé que vous pouviez tomber sous le charme du Melocoton de Colette Magny, ou, du moins, que vous n'étiez pas gêné par elle, d'autant qu'elle dure moins de deux minutes (très pratique quand la rubrique qui la précédait était plus longue qu'à l'habitude).



Ainsi donc j'aime tomber sur des morceaux secondaires mais néanmoins charmants ; ça ne vaut pas grand chose mais c'est aussi joli que ces morceaux de verres dépolis par le sable qu'on trouve au hasard sur une plage et qu'on garde précieusement (du moins quand on est enfant). Et à ce jeu là, il y a une championne dans ma discothèque, une chanteuse dont je possède à peu près l'intégrale, 75 titres pour être précis. Il m'est impossible d'écouter ces titres à la suite. Il me serait même impossible d'écouter seulement un album dans son intégralité : ce serait tout bonnement insupportable. Mais à chaque fois que je tombe sur l'une de ses chansons, je me dis que ça fait un bien fou. Comme un verre d'eau fraîche après avoir abusé de grands crus. Ah ! Claudine... ne puis-je m'empêcher de soupirer, rêveur. Claudine Longet. Vous avez le droit de ne pas connaître Claudine Longet, puisque ceux qui l'ont connue l'ont sans doute aussi oubliée. Pourtant, pour qui est un tant soit peu cinéphile, on connaît tous Claudine Longet et l'une de ses chansons, qui fut d'ailleurs ma porte d'entrée dans son univers. C'est en effet Claudine qui était la partenaire féminine de Peter Sellers dans le cultissime The Party de Blake Edwards. Elle était cette jeune et jolie chanteuse qui semblait un peu s'ennuyer poliment dans cette soirée convenue jusqu'à, précisément, l'arrivée du personnage farfelu d'acteur indien joué par Sellers. Et son heure de gloire était le moment où elle entonnait le délicat et distingué Nothing to loose.



Il semblerait que Claudine, bien que française, ait eu une petite notoriété aux Etats Unis, d'où l’enregistrement de plusieurs albums. Il faut dire qu'elle allait rester mariée longtemps à Andy Williams, grosse star là-bas, et dont on se souvient surtout pour Moon river, autre chanson de film au charme assez comparable à celui créé par Claudine dans The Party. Sauf que dans le film en question, Breakfast at Tiphany's, elle n'est pas chantée par Andy Williams, mais par Audrey Hepburn, là encore faussement seule à la guitare car si l'on ne se borne pas à regarder l'image et qu'on s'attarde sur le son, on entend nettement l'orchestration.



Ceci pourrait n'être qu'une parenthèse si cette chanson n'était pas un exemple parfait de ce qu'on appelle, un peu dédaigneusement il faut bien l'avouer, l'easy listening, soit le registre de Claudine Longet, qui, tout au long de sa carrière, reprit nombre de chansons (très rares sont ses créations comme Nothing to lose) pour les tremper dans le sirop et y apposer sa petite voix fragile à l'accent français savamment entretenu. Mais serais-je aussi attaché à son répertoire si je ne connaissais l'incroyable trajectoire de la petite française qui démarre comme un rêve et se termine comme un cauchemar ? Testons pour voir en vous la racontant. Claudine arrive donc dans les années 60 aux Etats Unis pour devenir danseuse mais c'est en chantant qu'elle se fait non seulement un nom mais un mari, Andy Williams donc, qui, après l'avoir invité à de nombreuses reprises dans son émission télé, en fit sa femme. Grace à lui, elle enregistre plusieurs albums, certains à succès donc, puis le quitte pour une autre star, le multi médaillé champion de ski Vladimir "Spider" Sabich. Et c'est là que ça se gâte puisque le 21 mars 1976, on retrouve Sabich mort, tué par balles : Longet expliquera que Sabich lui expliquait comment fonctionnait l'arme quand le coup partit tout seul. Mais on retrouva des traces de cocaïne dans le sang de Longet et son journal intime révéla que sa relation avec le skieur n'était pas aussi rose qu'elle le prétendait. Autant de preuves qui n'étaient pas recevables, le prélèvement de sang comme la confiscation du journal n'ayant pas été effectués dans les règles. Claudine Longet fut condamnée pour meurtre par négligence à trente jours de prison, qu'on lui permit de faire à sa guise pour rester avec ses enfants. Et si la famille de Sabich voulut longtemps poursuivre Longet, ils trouvèrent un accord dans le fait qu'elle ne parle ni n'écrive jamais sur son histoire. Claudine alla même au delà de ce voeu puisqu'elle n'apparut plus jamais en public, se retirant définitivement à Aspen où elle vit encore aujourd'hui avec l'avocat qui la défendit lors de son procès. Une sacrée histoire qui a inspiré un livre, Aspen terminus de Fabrice Gaignault sorti il y a trois ans, mais aussi à une chanson des Stones, Claudine. Et tout ça donne une allure plus sombre à ce joli paysage ensoleillé, un goût vénéneux au sucre. Du sucré salé. Un truc qui fait ressortir les autres goûts. Peu ou prou ce dont je voulais parler depuis le départ.

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