Dans ce que certains journaux musicaux ont désigné comme un des meilleurs livres musicaux de l'année dernière, David Byrne, tête pensante des Talking Heads, avance dans How music works que c'est le contexte plutôt que l'émotion qui est la force motrice de la créativité. Il entraîne ainsi son lecteur du mythique CBGB à New York jusqu'aux villages africains pour en faire la démonstration. Je n'ai pas lu le livre et ne peux donc m'étendre d'avantage. Mais le contexte, c'est ce que je m'applique à démontrer depuis pas mal de temps aussi, joue aussi sur notre perception, sur notre réception de la musique. Je me disais ça tandis que passait dans mon casque le superbe Amore, tiré du nom moins superbe (et donc fort justement nommé) Beauty de Ryuichi Sakamoto. En entendant la voix de Youssou N'dour en guest, je me disais que c'était au plus près de ce que je pouvais m'approcher de la musique africaine. Dans ce métissage. Livré à l'état brut, la musique africaine ne me parle pas aussi directement. J'aurais pu poster cette chanson mais afin de mieux illustrer mon propos, je lui ai préféré une autre chanson de l'album, toujours avec Youssou N'dour, mais où le chanteur sénégalais est encore plus présent : Diabaram.
Livré avec les claviers de Sakamoto, soudain c'est comme si je comprenais le wolof. Evidemment ce serait trop simple, comme toujours, de généraliser : je n'ai certes pas grandi dans un village du Mali mais Djôrôlen d'Oumou Sangaré a su me bouleverser même si le titre revendique clairement ses origines sans fioritures occidentales. Toutefois, là encore, le contexte est important. Je n'ai pas découvert Djôrôlen au hasard d'une écoute à la radio mais au cinéma. Le titre était la musique de En attendant le bonheur d'Abderrahmane Sissako, un film plutôt contemplatif autour d'un jeune Malien attendant son tour de s'embarquer pour l'Europe dans un petit village mauritanien où il ne se passe pas grand chose. Un film dont la poésie aurait pu m'échapper, même si sa qualité est indéniable puisqu'il a remporté le prix de la presse internationale lors du festival de Cannes 2002. Mais là encore, tout dépend du contexte. Or, c'est précisément à Cannes que j'ai découvert le film. Il faut vous imaginer cette ruche où bruissent à chaque instant des dizaines et des dizaines de journalistes, de producteurs, de réalisateurs, d'acteurs, de badauds surtout, qui courent dans tous les sens pour ne pas être en retard qui à un rendez-vous, qui pour faire la queue, qui pour simplement espérer voir les stars qu'ils apercevront au mieux quelques minutes sur le tapis rouge. Ca va vite, ça fait du bruit, ça donne mal à la tête. Puis, après avoir subi ce stress de chaque instant, vous voici, par écran interposé, en Afrique, dans un film magique mais surtout d'un calme assourdissant où peut résonner et donc prendre toute son ampleur le chant magnifique d'Oumou Sangaré.
Si l'on m'avait fait écouter Djorolen ailleurs (l'aurais-je d'ailleurs écouté jusqu'au bout ?), je ne sais pas si ce titre aurait provoqué chez moi une telle émotion. Emotion toujours présente même si les images du film, elles, se sont un peu effacées. Mais émotion née d'un contexte donc. Si l'on parle du contexte cinéma, il se passe d'ailleurs exactement la même chose avec le Tajabone d'Ismaël Lo. Même si j'ai connu la chanson avant de voir le film, jamais elle ne m'avait touché comme elle a su le faire dans le passage qui suit de Tout sur ma mère. Et depuis, quand j'entends la chanson, l'émotion que je ressens doit énormément, je m'en rends compte, au fait que je l'ai entendu dans ce qui reste l'un des plus beaux films de Pedro Almodovar.
C'est bien parce que l'on est dans un contexte géographique, culturel particulier qu'on écoute telle ou telle musique. Je m'en suis aussi rendu compte lors d'un voyage en Guadeloupe, ou pas une radio ne diffusait autre chose que le zouk des artistes locaux ; j'avais beau être en France, cette France là, tant mieux pour elle, ne semblait jamais avoir entendu parler des Johnny Hallyday, Michel Sardou et autre Lara Fabian qui encombrent encore notre bande FM. Tout comme je n'ai jamais entendu parler de la majorité des artistes qui encombrent sans doute les bandes FM africaines. Pour qu'une musique africaine parvienne à mes oreilles, ou plutôt, excusez-moi pour les grands mots, à mon âme ou à mon coeur, il faut qu'elle se métisse. Comme lorsque Damon Albarn pose ses mains et ses claviers sur le Sabali d'Amadou & Mariam.
Evidemment j'ai du mal à estimer la production de ces artistes dans leur jus puisque, précisément, elle ne me parle pas. Elle peut même me mettre les nerfs en pelote, alors même que tout le monde crie au génie, comme ce fut le cas sur le Je pense à toi des mêmes Amadou & Mariam. Pourtant j'ai l'impression que leur production s'enrichit en rencontrant d'autres cultures ; attention, n'allez pas entendre dans mes propos des relents colonialistes, car je pense de la même façon qu'un musicien français a tout à gagner à métisser sa musique. Prenez Marc Minelli, dont la carrière de chanteur, musicien, DJ végétait depuis ses débuts dans les années 80. Jamais sa musique ne m'a intéressé (a-t-elle seulement intéressé quiconque ?). Jusqu'à ce qu'en 2003, il sorte l'album Electro Bamako, fruit de sa rencontre avec la chanteuse malienne, Mamani Keita, où brille le morceau d'ouvertur, N'ka Willy.
Le métissage, c'est l'amour de son prochain, quelqu'il soit, d'où qu'il vienne, et finalement de sa musique. C'est en me disant ça que j'ai repensé à une chanson que je n'avais pas écouté depuis des lustres mais qui illustre bien mon propos. Le cercle rouge est la chanson qui ouvrait le premier album d'Amina en 1990, oui, la même qui allait (presque) remporter l'Eurovision avec Le dernier qui a parlé. C'était certes l'album d'Amina, mais c'était aussi celui de son producteur, Martin Meissonier, qui était aussi, à l'époque, son compagnon. On peut donc dire que Le cercle rouge est une chanson d'amour : heureux dans sa création, malheureux dans le texte. Et l'amour, tout le monde comprend, quelque soit le contexte.
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