mercredi 3 octobre 2012

D'époque

Il y a quelques semaines de ça, je suis tombé en arrêt devant une chanson que diffusait Nova. Enfin, pour être précis, je finissais par tomber en arrêt. Dès les premières notes, dès les premières intonations, j'avais reconnu Mathieu Boogaerts. Pas que je sois un grand fan, mais le monsieur a un style si caractéristique qu'il est difficile de passer à côté. Pour tout dire, j'ai découvert, comme beaucoup, Mathieu Boogaerts en 1995 avec Ondulé, et c'était très cool, en 1995, d'écouter Mathieu Boogaerts.



Puis, Mathieu Boogaerts a continué... à faire du Mathieu Boogaerts. Et c'est devenu moins cool d'écouter Mathieu Boogaerts. Enfin, on n'en avait plus envie, on était passé à autre chose. Rejetant aux gémonies, au mieux à l'indifférence, un chanteur que nous avions pourtant aimé. Un temps. Alors qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui, cette "nouvelle" chanson de Mathieu Boogaerts m'interpelle au point que j'ai téléchargé ce matin son nouvel album ?



Mais le plus étrange dans tout ça, c'est qu'il n'y a pas que moi qui ait un soudain regain d'interêt pour Mathieu Boogaerts. Déjà, ça faisait un moment que Nova ne le programmait plus avant Avant que je m'ennuie. Et puis il y a eu deux pages d'abord lundi dans Libération, avec critique élogieuse, un adjectif qu'on peut reprendre pour la critique de Télérama, publiée aujourd'hui, avec une note maximale de 4 clés. Ca m'embête d'être d'accord avec Valérie Lehoux qui signe l'article de Télérama. Ca m'énerve même tant je déteste Valérie Lehoux et son goût régulier pour une chanson française (elle en est la spécialiste) encore trop naphtalinée par l'importance qu'elle (Valérie comme la Chanson) accorde au texte. D'ailleurs, ça ne loupe pas, dans son article, Valérie appuie sur les textes. Seulement voilà, à part deux trois mots, je ne sais absolument pas de quoi parle Mathieu Boogaerts dans Avant que je m'ennuie. Mon inconscient le sait sans doute, mais mon attention consciente ne se porte que sur des lignes mélodiques portées par des mots. Si les mots ne "sonnent" pas, je n'entendrais pas les mots. Après il y a sans doute adéquation entre les mots et le sentiment que laisse la chanson après l'avoir écoutée, mais ça, c'est une autre histoire sur laquelle - le sujet est vaste - je reviendrais encore et encore. Mais pour l'instant pourquoi Mathieu ? Car, comme l'écrit Valérie Lehoux le comparant à M avec qui il a commencé, Mathieu Boogaerts "suit sa route sans les paillettes, mais avec une impeccable rigueur" et il "est mûr aujourd'hui pour imposer à tous son délicieux petit chant". Et c'est vrai qu'on reconnaît presque le même homme entre Ondulé et Avant que je m'ennuie, le premier étant sans doute plus joyeux, et le second plus joyeusement désabusé. Tout ça ne nous dit pas pourquoi l'on s'intéresse à nouveau à Mathieu Boogaerts. Et, au cas où vous diriez que tout ça n'est qu'un truc de journalistes un brin perchés, sachez que Boogaerts a écrit 6 chansons pour le prochain album de Vanessa Paradis, celle-ci en ayant retenu... 5! Le son Boogaerts est redevenu in, ce qu'annonçait déjà le Moi c'est de Camelia Jordana, où l'on reconnaissait immédiatement son style, son écriture, cette manière justement de faire sonner des mots.



Si je trouve fascinant que Mathieu Boogaerts arrive à nouveau à être dans le coup, c'est précisément qu'il n'a pas changé de route et qu'il apparaît naturellement aujourd'hui, à tout le monde, d'une grande pertinence. Oui, car pour en arriver là, d'autres se choisissent des arguments plus fashion. Prenez Bobby Womack ; si son retour est réussi, c'est parce que c'est Damon Albarn qui produit. Et si ce dernier a la bonne idée de faire chanter la pourtant très, voire trop entendue mais terriblement hype Lana Del Rey sur la plus belle chanson de l'album, évidemment, ça va le faire.



Mais pourquoi ça le fait aussi pour Mathieu Boogaerts sans avoir besoin d'en passer par là ? Que Dan Croll, surgi de nulle part (de Liverpool en fait mais de nulle part, ça fait quand même mieux, d'autant que son premier single s'appelle From Nowhere), soit pertinent en 2012 va finalement plus de soi : il a trouvé le son qui va bien en 2012 parce qu'il fait partie des jeunes pousses de cette année. Il a le bon son, le bon look, à savoir un no look - tshirt sombre et jean - où brille seulement le choix de ses lunettes de bigleux, aussi polies que sa coupe, le situant de facto entre Où est Charlie (Waldo en VO) et Harry Potter. Il a aussi ce détachement poli, se remuant gentiment, et son tambourin itou, alors que, avouez-le, il est en train de larguer une bombinette pop qui aurait le droit de le rendre autrement plus euphorique (à l'image de ses musiciens qui, eux, ne s'en privent pas).



A peu près pour les mêmes raisons, on peut en dire autant de Sohn, un Londonien qui vit aujourd'hui en Autriche, et dont la musique ne pouvait avoir été faite que cette année - cette façon un peu rnb, un peu dubstep, un peu tout ça des sons qu'il tire de son clavier sans doute. A l'instar de Dan Croll, le single de Sohn The wheel est totalement dans son époque.



Mais d'une curieuse façon, Mathieu Boogaerts réussit donc lui aussi à s'inscrire avec pertinence dans notre époque. A nouveau. Et moi de m'étonner, pour reprendre une image jardinière, sur l'étonnante floraison de cette plante qui ne donnait plus rien, ou qu'on avait oublié dans un coin du jardin. Ce n'est pas une première ; on a déjà vu des come backs similaires de chanteurs, mais aussi d'auteurs, de réalisateurs, de peintres, bref d'artistes qui n'avaient pourtant pas dévié de leur ligne de conduite. Si je m'interroge sur le pourquoi de la chose, je pense que je n'obtiendrais pas de réponse factuelle convaincante. Ce serait comme s'interroger sur l'alchimie à la base d'une histoire d'amour bien qu'il est ici non pas question d'allumer, mais, de rallumer la flamme.

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