mardi 9 octobre 2012

Je crois me souvenir de toi *

L'année dernière (et oui, déjà, en fin d'année dernière certes, mais l'année dernière quand même), je me suis laissé immédiatement séduire par une chanson qui a fait le buzz, un buzz si énorme qu'aujourd'hui l'album de Lescop, puisque c'est lui dont il s'agit, est attendu comme le messie, et La Forêt, annonciatrice de l'orage, devenu un tube.



Comme tout le monde, j'ai immédiatement pensé à Etienne Daho. Un Etienne Daho plus sombre, et donc lorgnant, comme ça a été dit par tout le monde là encore, vers Taxi Girl, mais à Daho quand même. "Un rendez vous improvisé sous la lune" de Lescop sonnant comme une réminiscence du "Be bopin sous la lune" que chantait Daho au temps de sa gloire. Comme une confirmation que nous sommes bien revenus à cette pop française née sous les auspices conjointes de la New Wave et de Françoise Hardy, est sorti il y a quelques jours (autant dire au même moment) le premier album de Yan Wagner. Et tant qu'à revendiquer des influences, lui a carrément enregistré un duo avec Etienne, le très bon The Only One sur l'album Forty Eight Hours. C'est plus précisément au Daho inclus dans la période 1982/1985 que se réfèrent ces artistes, soit entre les singles Le grand sommeil et Tombé pour la France. Au mieux, Lescop comme Yan Wagner doivent avoir 30 ans. Ils sont nés avec Le grand sommeil ; ils n'ont donc découvert cette chanson que plus tard. Je me demande ce qui a pu les pousser non seulement à écouter ces chansons, mais aussi à en faire le maître étalon de leur production. Entendez-moi bien ; je raffole du Daho de cette époque-là. Mais j'avais 15 ans quand j'ai assisté à mon premier concert de Daho à Bordeaux. Daho parlait à mon adolescence parce qu'il était totalement de son époque. Et du coup incompris par ceux de l'époque d'avant. Combien de fois avez-vous entendu de salles vannes sur "l'absence de voix" d'Etienne ? En cela, vingt ans après, il suivait les pas de Françoise Hardy, totalement en phase avec la jeunesse qui l'entourait, quand elle entonnait Tous les garçons et les filles. Mais est-ce ce sentiment qu'a aujourd'hui un ado en découvrant Lescop ou Yan Wagner ? Se dit-il que cet artiste parle directement à sa génération ? En a-t-il quelque chose à foutre ? Je me demande en fait comment j'entendrais Lescop ou Yan Wagner si je n'avais pas entendu Daho auparavant. Et encore... Car, même sans avoir écouté Etienne Daho, un teenager d'aujourd'hui a forcément son son dans les oreilles via l'un des nombreux tubes d'Etienne entendu un jour ou l'autre à la radio. Alors, pour ce teenager, Etienne Daho sonne-t-il comme un écho lointain de Lescop, quand, c'est précisément le contraire qui se produit pour moi ?
Ces interrogations métaphysiques étant posées, cette référence au Daho 82/85 est donc aussi, et ça, on a tendance à l'oublier, une référence à Franck Darcel. Avant d'enregistrer Le grand sommeil, il y avait bien eu Mythomane, joli petit album produit par Jacno, passé aux oubliettes. Et puis donc arrive Le grand sommeil et ce son. Oui d'accord, Arnold Turboust aux claviers, tout comme Etienne, y était sans doute pour beaucoup. N'empêche que les deux, ensemble, n'ont su retrouver tout à fait la même formule pour Pop Satori et encore moins, dix ans plus tard, pour Eden (même si la formule était, d'un autre genre, très jolie). Daho produit par Darcel, c'est sur ce son que s'est construit mon amour de la chanson française. Ou plutôt, tout ce que j'écouterais plus tard dans la chanson française allait d'une manière ou d'une autre devoir se mesurer à l'aune du plaisir que j'avais eu à écouter et réécouter La Notte, La Notte avec, en point d'orgue, Signé Kiko. D'ailleurs quand on réécoute l'album, on se rend compte qu'il manque définitivement quelque chose à Lescop ou Yan Wagner par rapport à Etienne Daho : la légèreté, l'insouciance. C'est un peu à l'image des pochettes de ces disques en fait. Sur la pochette de leurs disques respectifs, Lescop et Yan Wagner laissent apparaître leur visage en plan serré. Mais, l'un comme l'autre, en noir et blanc. Souvenez-vous de celle d'Etienne.


Ben voilà : c'était pastel, Pierre & Gilles, le perroquet, tout ça, tout ça ; c'était lumineux. Or il y a une noirceur chez Lescop qui n'est pas propre au Daho d'alors mais bien plus à l'époque de La Notte, la Notte. Daho était en cela (et reste) très spécial car il tirait vers la lumière un son pourtant porté sur l'ombre, personnalisé par Franck Darcel (qui, d'ailleurs resta à jamais le son de ces années là puisque sa carrière s'arrêta à ces années là quand celle de Daho fut celle qu'on sait). Pour s'en convaincre, il suffit d'aller écouter ce qui collerait plus au feeling de la chanson de Lescop, ce chant sorti d'outre tombe, au sens propre, celui grave de Philippe Pascal, pas toujours agréable mais qui le faisait grave (c'est le cas de le dire) sur L'éclaircie de son groupe Marc Seberg.



Et d'où venait Philippe Pascal ? De Marquis de Sade. Je ne parlerais pas de Marquis de Sade ici, vu que, si le groupe a été important pour pas mal de gens à la fin des années 70, il ne l'a pas été pour moi qui ne me suis intéressé à la musique qu'avec les années 80. Mais il est intéressant de noter que le guitariste de Marquis de Sade n'était autre que... Franck Darcel. Et encore plus qu'à la fin de Marquis de Sade, celui-ci est parti fonder le groupe Octobre. Et c'est bien dans Acteurs, qu'on trouve les prémices de ce son qui fait le délice de ces jeunes gens modernes.



J'ai découvert Acteurs en 82 au moment de la sortie de ce EP qui ne comprenait que 6 titres, gros succès sur ma radio (libre). Enfin là, et pas ailleurs, comme je le constaterais des années durant par la suite, cherchant, toujours vainement, chez des disquaires, le disque, devenu au fil du temps, une véritable obsession. Ce n'est qu'à la fin des années 90 que je mettrais finalement la main dessus. Quand je l'ai fait écouter ici et là, on m'a souvent dit que "ça avait vieilli", sous entendu, bien sûr, mal vieilli. Est-il toujours possible d'en dire autant après avoir écouté Lescop ?

* "Entortillé dans mes draps / Je crois me souvenir de toi / Lorsque tu disais tout bas / Que tu n'aimais que moi"  Etienne Daho "Le Grand Sommeil"

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