mercredi 10 octobre 2012

A DJ saved my life

Depuis l'ouverture de ce blog, j'ai parfois l'impression de naviguer entre aujourd'hui et les années 80 en laissant des pans complets de l'histoire incomplets. Je sais que c'est précisément pour ça que j'ai créé ce blog pour vous raconter toute l'histoire par la musique, même si ce n'est pas dans un ordre chronologique. Mais quand même, à ce stade de l'histoire, il me semble important d'aborder ma rencontre primordiale avec la Techno/House/Trance/Rave (call it what you want) Music. Et pour ça il va falloir que je vous parle de Lindsey Buckingham, ce qui peut, à ce stade, sembler troublant, pour qui connaît les talents de guitariste et chanteur de Lindsey Buckingham au sein de Fleetwood Mac, à des lieues, donc, de toute cette scène.
Mais prenons les choses dans l'ordre. A la fin des années 80, j'ai entendu débarquer les premiers tubes de House avec, disons, bienveillance. D'abord parce que tout ça était le fruit des synthés et autres machines (particulièrement les samplers) dont j'ai déjà dit l'amour que je leur porte. Ensuite parce que l'un des premiers succès de la catégorie était estampillé 4AD, soit l'une de mes maisons de disques préférées à l'époque, qui produisait les albums des Cocteau Twins, This Mortal Coil ou autres Dead Can Dance ; c'est en effet 4AD qui sortit en 1987 le Pump up the volume de MAARS.



Oui, avec le recul, ça peut paraître bizarre que cette maison de disques à qui l'on accolait des musiques, disons, pas trop réjouissantes ait pu sortir ce single. Moi, j'avais trouvé ça assez logique dans la mesure où MAARS était la réunion de deux des groupes du label, AR Kane et Colourbox. Or, j'avais déjà craqué sur l'album de Colourbox, sorti deux ans plus tôt, et plus particulièrement sur ces deux chansons qui s'enchainaient : Manic et leur reprise du You Keep Me Hangin' On.



Tout ça était enlevé et dansant, fun, léger, agréable, mais finalement, pas très sérieux, pensais-je sans doute alors. J'ai du pensé la même chose fin 88 ou début 89, quand, alors étudiant en journalisme, je suis parti à Londres avec ma promo, histoire d'y réaliser plusieurs reportages pour un magazine interne de l'école. Déjà passionné par la musique, j'avais bien évidemment décidé de parler de toute la scène House et Rave en pleine éclosion. Je me souviens très bien être allé interviewer les dirigeants de Rythm King, le label qui avait lancé le Beat Dis de Bomb The Bass, dont la pochette fut découpée (sacrilège !) par mes camarades de l'école pour illustrer mon article.



Si je m'en souviens avec précision, c'est parce qu'à la sortie de notre entretien avec les patrons de Rythm King, j'étais reparti avec une flopée de disques. Parmi ceux-là, il y avait l'album de S'Express, qui fut, je m'en rappelle, beaucoup raillé à l'époque. Pourtant, outre le fait que je trouve toujours très réussi les tubes Hey music lover ou Superfly guy, on y décelle déjà tout ce qui sera, plus tard, admiré chez d'autres. Je pense surtout à Special and Golden qui pourrait être le (pas si) lointain ancêtre de Release the pressure de Leftfield en 1995.




Mais si j'avais enquêté sur le phénomène alors émergent en son épicentre, le Royaume Uni, j'étais passé totalement à côté de mon sujet. Je n'avais pas compris, de l'intérieur, ce qu'annonçait pourtant clairement S'Express en ouverture de Theme from S'Express : "Enjoy this trip  / And it is a trip". Je me souviens certes avoir interviewé une jeune fille vendeuse d'objets très colorés ou décorés de Smiley, qui m'avait parlé, un peu ébahie et ravie, des Raves. Mais je n'étais pas allé moi même en Rave. Peut-être m'étais-je rendu dans une boîte mais le fait même que j'écrive "peut-être" montre à quel point le souvenir est flou et finalement, donc, sans grand impact dans ma vie. Par la suite, je n'ai suivi que de loin en loin cette scène, m'intéressant d'avantage à son croisement avec le rock via les Happy Mondays, Stone Roses, tout ce qu'on a dénommé Madchester. De temps en temps, rarement, je tombais sur un album qui m'accrochait comme, en 1990, Electribal Memories d'Electribe 101 au sein duquel évoluait la chanteuse Billie Ray Martin qui fit ses débuts dans... S'Express.



Fin de l'histoire. Enfin du moins du préambule.
Je situe avec beaucoup plus d'exactitude la réelle irruption de cette musique dans ma vie ; pour que vous compreniez pourquoi, je vais d'abord plomber l'ambiance. Le 19 janvier 1993 (car c'est une date qu'on n'oublie jamais d'où le fait que je situe tout le reste de l'histoire avec beaucoup plus d'exactitude), j'apprenais que j'étais séropositif. A l'époque, c'est encore un peu (les trithérapies n'existaient pas) comme si l'on vous apprenait que vous étiez condamné à mort. Ajoutez à ça que le jeune homme mal dans sa peau que j'étais n'assumait pas son homosexualité et ne pouvait donc se confier à pas grand monde et vous aurez une idée du désarroi dans lequel j'étais plongé. Une des rares à qui je pouvais parler de tout ça était ma soeur qui vit depuis la fin des années 70 en Angleterre. Un peu démunie, elle me proposait de passer la voir chez elle. Je partais donc fin janvier à Clacton-on-Sea, riante, enfin non, mortelle bourgade à l00 km à l'Est de Londres sur la Mer du Nord, en train. Et c'est là qu'arrive Lindsey Buckingham. Muni d'un Discman (qui fut au CD, souvenez-vous, ce que le Walkman était à la K7), je montais dans le train pour me forger un souvenir qui ne me quitterait plus. Voyez-vous, j'adore les voyages en train un casque sur la tête. Le paysage qui défile au rythme de la musique, ça pourrait durer des heures ; ce sont de longs travelings personnels et je les trouve magiques. Comme il se doit en cette fin du mois de janvier, il faisait froid et gris, et même gris foncé en Angleterre. Je me rappelle surtout, après avoir changé de train et de gare, être reparti de Londres dans un décor industriel (les rames des trains à la sortie des grandes villes) en noir et blanc. Avec dans mon casque, Lindsey Buckingham. Il venait juste de quitter Fleetwood Mac et sortait son premier album solo d'après rupture : Out of the craddle. Bunckingham a enregistré seul une bonne partie de cet album assurant guitare, basse, claviers, percussion, voix et production et je me le suis toujours représenté seul dans son studio, partagé entre la rage d'avoir quitté un groupe à qui il avait pourtant donné tant (il est en grande partie responsable du très beau Tango in the night comme Big Love, le premier single) et l'envie de continuer tranquillement sa vie de musicien, apaisé. Du coup, les chansons d'Out of the craddle où prédominent ses guitares virtuoses, sonnent pour moi comme le reflet de ses humeurs, réelles ou fantasmées, qui étaient précisément les miennes alors : la rage de Doing what I can (relecture brillante de Big Love) le disputant à l'espoir de Say we'll meet again (en passant par tout un tas de chansons à l'humeur plus ou moins maussades, et au charme impeccable).




Voici donc résumé mon état d'esprit quand j'arrive, ce week-end là, chagrin donc, chez ma soeur. Celle-ci venait de divorcer et avait décidé, à plus de 30 ans et avec deux enfants en bas âge, qu'il était grand temps de vivre ses... 20 ans. Elle avait donc, à ce moment là, tous les jours 20 ans et quand, comme le week-end où je suis venue la voir, elle gardait ses enfants, c'est chez elle qu'elle amenait la fête et ses copains. Je suis arrivé le vendredi soir en début de soirée quand personne n'était encore arrivé. Elle m'a dit qu'elle ne savait pas quoi me dire mais me proposait de faire partie de la fête, le temps d'un week-end. Franchement, à ce moment précis, je ne voyais pas très bien comment j'aurais pu faire la fête. Ajoutez à ça mon côté d'irréductible sauvage asocial qui fait que j'ai du mal à être en groupe quand le groupe dépasse, euh, trois personnes, et vous comprendrez que je me suis dit que je m'étais peut-être trompé en pensant trouvant là le réconfort qu'il me manquait. Parce que le réconfort, je l'imaginais comme deux bras m'accueillant dans lesquels j'aurais pu pleurer. Mais si je m'étais trompé, c'est précisément en pensant ça. Le réconfort, ce jour là, s'est présenté sous la forme d'une petite pilule blanche. Et là, que les choses soient claires : loin de moi l'idée de faire ici l'apologie d'une drogue ou d'une autre, et pour tout dire, cela fait des années que je n'ai pas pris d'Ecstasy. Mais ce soir là, l'Ecstasy que me proposa ma soeur, ne me forçant aucunement mais me rassurant quand j'émettais quelques craintes, fut exactement ce dont j'avais besoin. Pour aller mieux et pour réellement pénétrer, comme j'allais le faire, dans cette musique. Ma soeur, parce que c'était ma première fois, m'avait assis dans un fauteuil face à un écran où défilaient des images un peu comme celle-ci.


J'allais rester scotché là, des lunettes en relief sur les yeux, un verre rouge, un verre bleu, un grand sourire au lèvres tandis que je rentrais dans la dimension cachée de cette musique. A l'époque, le grand courant de la Techno, ou tout du moins, le courant qui régissait la soirée, c'était la Trance, une musique hypnotique. Et d'un seul coup, je captais totalement la musique. Elle accompagnait chacune de mes montées, les conduisait parfois, les accélérait par moments, les ralentissaient à d'autres, au fur et à mesure que mon esprit divaguait, s'accrochait au beat ou bien aux nappes de synthé, ou bien tout à la fois. Je ne me souviens pas avec précision ce que j'ai écouté ce week-end là et pour cause, j'étais défoncé ; je suis arrivé le vendredi soir, reparti le dimanche en début d'après midi et cela m'a paru durer, tout au plus, deux ou trois heures. Deux ou trois merveilleuses heures. Mais il me semble que j'ai écouté Papua New Guinea de Future Sound of London. Et même si je ne l'ai pas écouté, il est pour moi la musique qui synthétise le plus ce que j'ai vécu ce week-end là.



J'étais arrivé le moral dans les chaussettes, dans le noir et blanc, et j'allais repartir la tête dans les nuages, dans les couleurs de l'arc en ciel. D'autant plus que, j'allais le découvrir vite, je n'avais plus besoin de l'Ecstasy pour apprécier cette musique. Je ne veux pas avoir l'air d'un angelot pour qui, faut pas déconner quand même, la drogue, c'est de la merde. Non, les mois/années qui allaient suivre allaient être remplis de raves en tous genres et autres cachets multicolores (sans pour autant faire de moi un addict). Mais, ce que je veux dire, c'est que même sans ça, le trip recommençait dès que j'écoutais un disque. Je me souviens particulièrement de cette sensation la première fois que j'ai entendu le Open up de Leftfield avec John Lydon, fin 93. Un disque, qui plus est, assez symbolique pour moi, car il synthétisait mon passage d'une préférence pour la musique rock à une prédilection pour cette musique techno. C'était comme si John Lydon, alias Johnny Rotten, le chanteur des Sex Pistols et de PIL, adoubait ce choix plutôt gonflé à l'époque puisque je me rappelle avec précision Bernard Lenoir, dont j'étais pourtant fan et qui avait pourtant programmé la chanson, l'accompagnant d'un dédaigneux : "Est-ce encore de la musique ?" (sic)



Pour moi, la question ne se posait pas : c'était non seulement la musique mais la meilleure des musiques : de celles qui fait qu'on danse, qu'on rêve, qu'on s'émerveille... De celles qui fait qu'on reste en vie.

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