lundi 26 novembre 2012

Le meilleur du meilleur

A ceux qui s'interrogeraient sur mon absence prolongée, je répondrais seulement qu'il va falloir s'y habituer : c'est bientôt les vacances et pas sûr que je sois tous les jours devant un ordinateur. Juste au moment où les classements de fin d'année allaient sortir et où on allait pouvoir bien rigoler ! Ou crier de rage ! Car bien plus que de véritablement désigner le meilleur album de l'année (qui dans l'absolu, soit dit au passage, n'existe pas pour des raisons déjà évoquées ici), les magazines, sites et autres blogs vont d'abord se mettre en avant, ou mettre en avant leur ligne éditoriale, ce qui fait leur spécificité plutôt que de faire preuve d'un tant soit peu d'objectivité. Et c'est finalement assez logique, si tout le monde disait la même chose, l'existence même de tous ces magazines, sites et autres blogs serait en jeu. Il n'empêche que la règle a quelque chose d'absurde quand un album dépasse d'une tête tous les autres. Il se voit généralement assez bien sur ces listes : il est numéro deux partout. Parce que, dans tous ces magazines, sites et autres blogs, on se dit que, non, c'est décidément bien trop évident pour que ça prenne la première place. Je me souviens parfaitement qu'en 1997, Ok Computer de Radiohead était arrivé à de très nombreuses reprises n°2. Le New Musical Express lui avait, par exemple, préféré Ladies and Gentlemen, we're floating in space de Spiritualized. Mouais. Dans tout ce fatras de distinctions, j'aime assez le Mercury Prize, lancé il y a vingt ans par l'industrie du disque du Royaume Uni pour désigner le meilleur album britannique ou irlandais de l'année. C'est certes limitatif puisque ça exclue quand même une grande partie du monde mais soyons lucide : même si l'apport de la Grand Bretagne à la musique ces dernières années a largement diminué, elle reste néanmoins l'une des places fortes (LA place forte ?) de la musique pop rock contemporaine. Les nominés du Mercury Prize sont désignés par un panel de musiciens, journalistes, travailleurs de l'industrie du disque, etc... Et les nommés sont en général un bon reflet de ce qui se fait de mieux cette année-là. Ca vaut le coup d'y jeter un œil, enfin une oreille, d'autant plus que la musique des nommés n'est pas forcément venue jusqu'à nous. L'année dernière, par exemple, je m'étais demandé longuement ce que venait faire, au milieu de pointures comme les albums d'Adele, Metronomy ou James Blake, l'album de King Creosote & Jon Hopkins. Jamais entendu parler. Et puis j'ai écouté.



Je ne sais pas si ça vous a fait pareil mais moi, la voix haut perchée de King Creosote sur ces quelques notes de piano me fait systématiquement dresser les poils. Outre le fait que l'album Diamond mine est éminemment recommandable et recommandé, c'est une belle histoire de collaboration entre un folkeux et un musicien électro, qui, à en croire la légende, s'est étalée sur sept années d'enregistrement. Bon, à l'arrivée, ils n'ont pas gagné. Ni Metronomy, ni Adele, ni James Blake. L'année dernière, c'est PJ Harvey qui a gagné et j'imagine que c'est un très bon album puisque c'est la deuxième fois qu'elle obtient le prix. Oui, j'imagine, parce que PJ, ma grande, tu ne m'as jamais rien fait. Mais alors rien : les poils qui se dressent, c'est pas pour toi. Faut pas m'en vouloir, c'est comme ça. Oh, et puis, il arrive aussi aux votants de ce prix de faire notoirement n'importe quoi en favorisant l'outsider aux favoris : quand, en 1994, Blur était nommé pour Parklife, Pulp pour His'n'hers, The Prodigy pour Music for the jilted generation ou Paul Weller pour Wild wood, c'est M People pour Elegant Slumming qui a remporté la timbale.



Bon d'accord, ça vous a fait remuer le popotin deux minutes et rappelé quelques souvenirs mais avouez qu'en gagnant du Mercury Prize, c'est un peu comme si JK Rowling avait remporté le Goncourt ; et Dieu sait si j'ai aimé les Harry Potter mais quand même ! Pourtant il n'y a pas que la propension des jurys à vouloir déjouer les pronostics qui entre en compte, il y a aussi des erreurs d'appréciation que seul le temps peut discerner. Par exemple, en 2001, je couvrai le festival de Cannes et eu l'occasion de voir tous les films de la compétition. Au bout des dix jours de compétition, je pronostiquais The Pledge de Sean Penn, La Pianiste de Michael Haneke, La chambre du fils de Nanni Moretti (qui finit par avoir la Palme), voire même La chambre des officiers de François Dupeyron. A la fin de l'année, ne me restait plus qu'un film en mémoire : Mullholland Drive de David Lynch, à qui, sur l'instant, je n'aurais pourtant rien accordé. Le temps avait joué son rôle de filtre et finalement distingué la pépite. D'ailleurs tous ces prix, tous ces classements ne sont-ils pas de gros tamis dans lesquels  on peut trouver aussi bien des pépites que des morceaux de boue ? Il se trouve que cette année, ce sont les favoris qui ont gagné : Alt-J avec An Awesome Wave, qui doit être tellement connu ces jours-ci, que j'ai finalement décidé de vous poster un autre titre d'Alt-J qui sévit sur le Web depuis peu, extrait de la bande originale du film Silver Linings : le titre Buffalo qui aurait facilement trouvé sa place sur l'album.



Oui, c'est logique qu'Alt-J ait gagné cette année car leur album est au-dessus du lot. De la même manière qu'en 2010, le premier album de The XX l'était (il remporta d'ailleurs cette année là ce même prix Mercury), ou qu'en 2009, Veckatimest de Grizzly Bear l'était aussi. Ca n'est pas le cas chaque année. Il se peut qu'il y ait plusieurs de ces albums importants sur une même année. Mais ils sont précisément si rares qu'il n'est pas difficile, avec un peu de recul, de les distinguer. Un peu d'objectivité fait l'affaire. Mais il n'y a rien de plus subjectif que l'amour, en l’occurrence l'amour qu'on porte à un album. Aussi, si l'on sait tous que l'album d'Alt-J est le meilleur de l'année, on ira chercher un choix moins évident, histoire donc de se mettre en avant, ou de se trouver un chéri plus perso que celui que tout le monde serre déjà dans ses bras. Aussi faudra-t-il mieux, encore une fois, se reporter sur celui qui est second dans tous les classements que sur celui qui est premier dans un tel ou tel autre pour avoir une meilleure vision du meilleur album de l'année. Du moment qu'on le sait, avec un peu de bonne foi, on peut alors proclamer n'importe quoi avec la plus mauvaise foi du monde.

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