samedi 17 novembre 2012

La Bérézina

Depuis quelques heures, j'ai en tête ce post que je vais consacrer - gros morceau - à Elizabeth Fraser. Et je me disais que la Bérézina, c'était bien. Parce que comme on fait précéder le nom d'une diva, d'un "la", tel la Callas, la Fraser avait bien mérité le sien. Et puis je trouvais que ça collait bien au sujet. Sauf qu'après réflexion, le mot que je voulais employer n'était pas la Bérézina, mais l'Arlésienne. Mais comme il n'y avait plus qu'un L et un apostrophe, ça ne faisait pas mon affaire. J'aurais pu tenter La Rlésienne, mais bon. Oui, l'Arlésienne car je, tu, il, nous, vous, on attend l'album solo d'Elizabeth Fraser depuis des lustres. Depuis la séparation des Cocteau Twins qui remonte à 1996. Vous trouvez que j'exagère sur l'expectative ? Bon, OK, mais Elizabeth Fraser est (et pour ceux qui suivent, la vérité va enfin être révélée !) la troisième chanteuse de mon Top 3 des plus grandes chanteuses, avec Tracey Thorn et Kate Bush. Un amour qui ne date pas d'hier là encore puisque j'ai découvert les Cocteau en 1983 via l'album Head over heels bien que je ne les ai définitivement porté au pinacle que l'année suivante avec l'album Treasure, jugé par mes oreilles d'alors (et encore maintenant, je pense) comme le meilleur de l'année 1984.



Ivo qui ouvre l'album montre tout ce que j'aime chez Elizabeth Fraser : cette voix duelle, angélique, presque enfantine dans les aigüs, et plus âpre, adulte dans les graves. Car, au cas où vous ne le sauriez pas et pour que les choses soient claires, Elizabeth Fraser faisait toutes les voix, sans exception, sur les albums des Cocteau Twins. Elle y écrivait aussi tous les "textes" ; c'est effectivement à mettre entre guillemets puisque ce ne sont pas des textes à proprement parler mais plutôt du yaourt ou un langage n'appartenant qu'à elle. Mais j'y reviendrais.
Mon admiration n'a jamais cessé pour les Cocteau Twins tant leur carrière est exemplaire. J'ai juste été un chouïa déçu par les deux albums qui ont suivi leur départ de leur maison de disque historique, 4AD, dont ils ont solidement contribué à forger l'image. Il faut dire que Four Calendar Cafe en 1993 et Milk and kisses en 1996 arrivaient après ce qui reste pour moi comme le chef d’œuvre des Cocteau : l'album Heaven or Las Vegas en 1990.



Puis, donc, les Cocteau Twins se séparèrent. La faute à Elizabeth Fraser et Robin Guthrie, qui, outre le fait qu'ils formaient les deux tiers du trio Cocteau Twins (voire l'intégralité du groupe quand celui-ci se réduisit à un duo le temps de l'album Victorialand en 1986) formaient aussi un couple dont la séparation est bien entendu à l'origine de celle du groupe. Mais j'y reviendrais.
Fraser allait alors devenir un mythe. Par son absence, quelques collaborations soignées et une love story. Bon, l'absence, vous avez compris. Côté collaboration, on l'a entendu auprès de Future Sound of London, Yan Tiersen, Peter Gabriel pour le projet Ovo (qui disait, justifiant son choix, que c'était tout simplement la plus belle voix féminine qu'il connaissait), quelques autres que je passerais, mais ses deux plus belles associations furent celles qu'elle eut en 1998 avec Massive Attack et Craig Armstrong. Pour Massive Attack, qui ont toujours eu bon goût en matière de chanteuse, elle chantait et cosignait trois chansons de l'album Mezzanine dont l'éblouissant diamant noir Teardrop.



Finalement dans la même veine, ce qui est assez logique dans la mesure où Craig Armstrong était l'arrangeur cordes de Massive Attack, en grande partie responsable de leur son, This love et son tapis de cordes offre un écrin magnifique à la voix de Fraser.



Or donc maintenant vient la love story et sans doute l'une des plus belles (LA plus belle ?) collaborations que l'on doit à Elizabeth Fraser et... Jeff Buckley. Peu de temps après sa séparation d'avec Robin Guthrie, Elizabeth Fraser eut ce que sa note biographique Wikipedia appelle "intense personal relationship" avec le chanteur trop tôt disparu. Cette love story devait même être au centre d'un biopic consacré à Jeff Buckley, qui n'a, à ma connaissance, toujours pas vu le jour à l'heure qu'il est. Il faut dire que le point d'orgue de leur duo est l'incroyable chanson All Flowers In Time (Bend Towards The Sun) où se marient à merveille les voix de ces deux exaltés géniaux. Incroyable aussi car cette chanson n'existe pas. Elle n'est jamais sortie officiellement sur un disque de Jeff Buckley,  Elizabeth Fraser, bien que régulièrement sollicitée, n'ayant jamais donnée son accord pour cela. C'est sans doute dire le caractère particulier que semble avoir eu cette "collaboration" aux yeux d'Elizabeth Fraser. D'ailleurs, si vous tendez bien l'oreille, vous l'entendrez rire au début de la chanson. Et ce n'est pas à la joie qu'on associe habituellement sa voix. Même si cette chanson n'existe pas, elle a fuité sur le Net depuis belle lurette et si la poster aujourd'hui permet de la faire connaître à au moins une personne supplémentaire, je n'aurais pas perdu mon temps.



Une chanson magnifique mais qui n'existe pas, un chanteur magnifique mais qui n'existe plus, et une histoire passionnelle dont on ne sait l'entière existence : il n'en faut pas plus pour prolonger le mythe Elizabeth Fraser.
Maintenant rembobinons un peu l'histoire. Comment se fait-il qu'Elizabeth Fraser, qui semblait pisser de la copie au temps des Cocteau Twins (albums, EPs, ça ne s'arrêtait jamais), ne s'est plus exprimée, artistiquement s'entend, qu'à deux petites reprises en solo, via deux singles, très dispensables qui plus est ? Ce qu'il faut savoir, c'est que derrière l'apparente tranquillité des Cocteau Twins se cachaient deux profonds orages. D'abord, Robin Guthrie était accro aux drogues ; ben oui, tous ces sons éthérés, réverbérés, ces guitares tordues, distordues, ça devait bien venir de quelquepart. Et puis, surtout, peu de temps avant la séparation des Cocteau, Elizabeth Fraser a entrepris une psychothérapie. Il en est ressorti qu'on avait abusé d'elle alors qu'elle était enfant. Tout ce qui suit est une simple supposition de ma part, mais n'était-ce pas son désarroi, sa détresse, ce mal qu'elle chantait durant toutes ces années, incapable de mettre dessus des mots, d'où ce charabia ? Une fois que tout était sorti, que lui restait-il à dire ? Peut-être le saurons-nous un jour si cet album solo veut bien sortir ; on l'a annoncé imminent, une fois de plus, au printemps dernier ! En attendant La Bérézina, c'est pas si mal que ça. Car derrière cette expression, synonyme de désastre, il existe en fait une bataille qui fut, pourtant, une très belle victoire pour la France. Bref, ce que nous prenons pour un désastre est un triomphe. Et Fraser et ses Cocteau Twins, c'est la Bérézina inversée : un triomphe qui pourrait n'être qu'un gigantesque désastre.
En épilogue, voici un morceau qui a été postée il y a deux ans pour un bidouilleur électro assez doué, Star Slinger. Il y samplait un vieux morceau des Cocteau Twins mais il baptisa simplement le titre : Elizabeth Fraser.


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