Cela fait déjà quelques jours, depuis qu'il a dévoilé son nouveau single dans l'émission de Zane Lowe sur la BBC que je voulais parler du nouveau James Blake. Je me rappelle le choc que ça a été il y a deux ans de découvrir pour la première fois son univers via Wilhelm's Scream. Ou plutôt de l'avoir vraiment découvert via Wilhelm's Scream. Parce qu'avant cette chanson, j'avais fait la rencontre de James Blake via un autre morceau qui s'appelait CMYK que j'aime beaucoup, mais.
Mais, outre que je trouve Wilhelm's scream bien meilleur en terme de composition, ce titre a un élément on ne peut plus déterminant dans mon amour pour James Blake : sa voix.
James Blake a-t-il au moins conscience de l'effet que procure sa voix ? Enfin, je veux dire James Blake mesure-t-il l'intérêt de sa voix dans sa musique ? C'est une question qu'on est logiquement en droit de se demander puisque ses premiers singles, comme CMYK étaient précisément instrumentaux. Peut-être était-ce un effet, du style, je sais faire ça mais vous n'avez pas encore entendu le meilleur. Ou peut-être n'a-t-il pas envie d'être connu pour ça. D'ailleurs, c'est peut-être pour ça qu'en bon bidouilleur, il passe sa voix à travers une montagne d'effets, autotune, écho et autre déformation faisant tout pour ce qui s'avère impossible : l'abimer. C'est rigolo d'ailleurs parce que Zane Lowe, lui parlant de son nouveau single, lui disant à quel point sa musique lui avait manqué, personne n'étant capable, continuait-il, de faire ne serait-ce qu'un dixième d'une musique qui sonne comme la sienne, concluait par : "I think that's a small but privileged list of musicians that have their own voice". Traduisez qu'il pense qu'il n'y a qu'une petite mais très privilégiée liste de musiciens qui ont leur propre style. Car en utilisant le terme "voice", il voulait bien plus parler du style de James Blake, ou, si l'on veut jouer avec les mots, de la voie musicale qu'emprunte James Blake, que de sa réelle voix. Pourtant la voie de James Blake ne serait rien sans sa voix, ce que prouve magistralement le nouveau single Retrograde et son fredonnement d'ouverture notamment.
La voix de James Blake, c'est un mur des lamentations. Quelque chose de déchirant et de terriblement humain et, là où la voix de James Blake indique sa voie à James Blake, c'est lorsqu'elle va se frotter à des machines prétendument totalement déshumanisés, créant un contraste d'une rare intensité. En cela, il est vrai que cette voie est rarement empruntée. Mais rarement ne veut pas dire jamais et je me suis souvenu d'une plainte toute aussi déchirante, d'une voix tout aussi belle et qui n'hésitait pas à se faire triturer par tous les filtres possibles et inimaginables, même si elle pouvait aussi apparaître dans le simple apparat de toute sa beauté comme c'est le cas dans le Roads qui suit : soit la voix de Beth Gibbons sur le premier album de Portishead, il y a dix neuf ans (oui, je sais, ça fait mal - en tout cas, moi, ça m'a fait mal).
D'ailleurs rien ne se créant, tout se recyclant, James Blake n'est-il pas le descendant du trip hop ? Je dirais même plus, comme Dupont ou Dupond, le meilleur descendant du meilleur du trip hop ? Parce que le son trip hop, soit donc ces mélopées sur fond de beats hip hop engourdis, a beau avoir bercé les années 90, franchement, est-ce qu'en trois albums, la messe n'avait pas été dite ? Un espèce de trio magique arrivé dans un mouchoir de poche avec outre le susmentionné Dummy de Portishead et Protection de Massive Attack et Maxinquaye, le premier album de Tricky. De là découlera tout le reste, des variations, parfois brillantes mais variations tout de même autour de la formule originelle.
On pourra m'opposer le fait que Blue lines de Massive Attack avait tout autant, voire bien plus, mis le feu aux poudres (blanches) du trip hop quelques années plus tôt. On n'aura pas tort. Comme quoi, on n'est pas toujours un con. Mais ce que je voulais synthétiser dans ce trio d'albums, c'est le moment où cette musique trip hop, encore très black du temps de Blue Lines, devient aussi, alors, la musique des petits blancs, gavé des ambiances sombres des années 80. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si Massive Attack convoquera les plus déchirantes voix de ces années là pour donner corps à leur musique. Sinead O'Connor, Elizabeth Fraser et, à l'origine, Tracey Thorn qui leur donne, on peut dire (mais on peut en discuter) leur meilleur titre et à l'occasion celui de cet album, Protection donc.
Des musiques comme autant de variations d'un blues profondément urbain et industrialisé en quelque sorte. Mais pourquoi rappeler tout ça, me direz-vous, quand tous ces titres et ces trois albums en particulier, sont devenus des classiques que tout le monde connaît, soit tout le contraire des trésors cachés dont je parlais hier ? Parce que je doute aujourd'hui du "tout le monde les connaît". Hier soir, l'un des concurrents de la nouvelle et médiocre édition de la Nouvelle Star, une petite vingtaine d'années, reprenait (très très mal) Tombé pour la France d'Etienne Daho, une chanson, nous apprenait le présentateur, qu'il ne connaissait pas. James Blake n'a que vingt quatre ans ; après tout, qui nous dit qu'il connaît ces illustres ancêtres dont il est aujourd'hui le plus brillant descendant ?
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