jeudi 21 février 2013

Sister Siouxsie

C'est difficile de parler de Siouxsie and the Banshees sans parler d'une de mes soeurs. Je veux parler de la soeur anglaise, ce qui veut dire celle qui est partie en Grande Bretagne en 1979 où elle est rapidement devenue punk. Les premiers retours de ma soeur à Royan furent placés sous cette égide : la jeune fille sage et brune qui était partie outre manche revenait avec des cheveux verts ou roses coiffés en pétard, des fringues démentielles, un parfum patchouli et des maquillages masques aussi outrés qu'élégants, ce qui faisait un sacré contraste avec la population du troisième âge depuis toujours majoritaire dans la station balnéaire. A la rigueur, maintenant que j'y repense, seuls quelques cheveux bleus de certaines mamies pouvaient tenir la comparaison bien involontairement. Pour moi, cela a sans doute été fascinant. Une dose de frisson, de danger, de liberté que j'associais à ma soeur bien sûr, mais, au-delà, à l'Angleterre et aux punks. Quand vinrent quelques années plus tard mes premiers voyages en Albion, ma soeur et mon beauf, qui s'étaient connus dans un squat, avaient beau s'être quelque peu rangés, ils n'en restaient pas moins un couple punk aux frusques sombres et la musique pour aller avec. Or, mon (ex) beauf, passionné de musique, l'était aussi de Siouxsie and the Banshees, dont il possédait jusqu'au moindre pirate. Et c'est sans doute pour tout cela, et parce qu'elle porte ce prénom, que j'associe aujourd'hui encore la chanson de Siouxsie and the Banshees, Christine, à ma soeur.


Est-ce pour cela que j'ai une tendresse particulière pour Siouxsie ? Sans doute. Sans doute aussi parce que la musique de Siouxsie reste l'une des meilleures qui soit issue de la scène punk. Je dis bien issue et non pas punk, ni même gothique, un mouvement auquel on a trop tendance à l'accoler. Or qu'est-ce que la musique de Siouxsie si ce n'est de l'excellente musique pop. Et ce dès son premier single, Honk Kong Garden et son petit xylophone, un arrangement un rien trop stylé pour de la musique seulement punk, si vous voyez ce que je veux dire.



D'ailleurs ce qui me fait dire que Siouxsie and the Banshees est avant tout un groupe de pop, ce sont leurs singles. C'est ce qu'ils réussissaient le mieux et c'est ce qui me fait penser que si l'on doit s'acheter un album de Siouxsie, c'est son best of qui les rassemble, moi qui, pourtant ne goûte que très peu aux compilations. Evidemment ce n'est pas de la pop mignonne et gentille mais plutôt une pop étrange, un peu barrée, hors norme mais au final d'une grande élégance. Ce n'est pas un hasard si, il y a quelques années, sur la compilation des musiques qu'il aimait, Karl Lagerfeld avait choisi le Spellbound de Siouxsie. La chanson garde des années après sa création une classe folle. Ce n'est pas un accessoire de saison qui a mal vieilli comme beaucoup de morceaux de la scène punk mais un truc impeccable comme la majorité de la production des singles du groupe. D'ailleurs c'est difficile pour moi d'en choisir un : pourquoi Spellbound plutôt qu'Israël ? Et pourquoi pas les deux qui bénéficient de l'impeccable jeu de guitare de John McGeoch.





Si je parle de leur guitariste d'alors, ce n'est pas seulement parce qu'il avait un jeu qui fit dire des années plus tard à Siouxsie que c'était la personne avec qui elle avait préféré collaborer. C'est aussi, et surtout, parce que Siouxsie and the Banshees étaient aussi passionnants par leur constante mutation. Pour moi qui étais fan de musique, c'était génial car c'était comme jouer à un jeu des sept familles du rock, où je voyais non seulement comment le groupe avait changé de physionomie autour de son noyau dur (Siouxsie, le batteur Budgie, et le bassiste Severin) mais aussi de son. Par exemple, difficile de ne pas reconnaître la patte de Robert Smith, qui se partageait alors entre The Cure et les Banshees, dans Swimming horses.



Et à ce petit jeu des différentes incarnations des Banshees, c'est la dernière, celle qu'ils présentèrent dès 1988 avec l'album Peepshow qui m'intéresse le plus. Les Banshees accueillaient en leur sein Martin McCarrick qui est un musicien que j'admirais déjà pour son travail avec This Mortal Coil et Marc Almond. Et c'est lui, violoncelliste de formation, qui a amené des sons nouveaux chez Siouxsie comme l'accordéon qu'on retrouve aussi bien sur le frénétique Peek-a-Boo que sur la sublime ballade The last beat of my heart.



Ce n'est pas un hasard de terminer mon parcours dans la carrière de Siouxsie avec cette chanson. D'abord parce qu'elle fait partie du meilleur album de Siouxsie. Si j'ai déjà écrit qu'il valait mieux se reporter au best of, si l'on me demande quel est le meilleur album de Siouxsie, le meilleur original s'entend, c'est sans conteste celui-ci que je citerais puisque toutes les chansons y sont réussies. Mais ce titre, peut-être mieux que d'autres, montre aussi ce qu'on a pas assez dit de Siouxsie : que c'était, que c'est une très grande chanteuse. A force d'incarner avec force talent une icône rock, on en a fini par oublier le plus important. Car oui, Siouxsie était une image merveilleuse, à punaiser sur vos murs quand vous étiez ado. Je me souviens, lorsque ma chambre était recouverte d'images que j'allais découper dans le New Musical Express, en avoir eu plusieurs de Siouxsie, dont une carte postale, signée Anton Corbijn (à qui Depeche Mode et U2 doivent la plupart de leur imagerie) qui avait fait de Siouxsie l'un de ses modèles préférées. Hélas je n'ai retrouvé qu'une partie de la carte.


Et donc on résume trop souvent Siouxsie à cette image (ou une autre, enfin, vous m'aurez compris). Presque une malédiction en fait, cette photogénie. Or la musique portée par cette voix unique est toute aussi intéressante. Je pense aussi qu'il a toujours manqué ce "je ne sais quoi" à Siouxsie and the Banshees pour devenir le groupe de première division qu'ils auraient du devenir. Oui, ils étaient connus, oui, ils ont eu des succès, mais ils n'ont jamais joué dans la même cour que The Cure, Depeche Mode ou U2, dans la cour des grands. Dans leur propre patrie par exemple, Siouxsie and the Banshees n'ont jamais eu que deux titres dans le Top 10 où leur plus gros succès reste... une reprise des Beatles (l'excellent au demeurant Dear Prudence). Il leur aurait fallu un tube planétaire comme Tim Burton a bien essayé de leur offrir en leur confiant le générique du deuxième Batman, Face to face, qui hélas n'eut pas le succès escompté. Il leur devait, ou, du moins, il lui devait bien ça tant sa Catwoman partage plus d'un point commun avec l'imagerie développée au cours des années par Siouxsie. Si ça se trouve, c'était peut-être ça le côté punk de Siouxsie : fuck le succès ! Du moins celui des stades. Pas besoin de ça pour laisser une empreinte. Et force est de constater qu'à la fin, elle a eu raison puisque, pas plus tard que l'année dernière, elle reçut le Ivor Novello Inspiration Award (prix très respecté outre manche) après avoir été récompensée l'année précédente aux Q (du très bon magazine du même nom) Awards pour "Outstanding contribution to music". N'empêche, j'aurais toujours l'impression qu'elle méritait mieux, même si c'est déjà beaucoup, que reine de l'underground. Mais ce doit être comme dans cet autre film de Tim Burton, L'étrange Noël de Monsieur Jack ; aussi séduisant soit le sombre côté des choses, il reste toujours, précisément, dans l'ombre. D'ailleurs n'ai-je pas moi même été injuste avec Siouxsie à l'avoir abandonné lâchement à l'orée des nineties ? J'ai du écouter cinq minutes le dernier album de Siouxsie and the Banshees, et sans doute moins encore les deux derniers albums de The Creatures, le duo qu'elle avait formé avec Budgie (qui fut aussi, accessoirement, son mari). Sans doute parce que le noir n'allait plus avec les couleurs des raves en vogue durant ces années-là ; d'ailleurs ma soeur ne portait plus alors que des tenues au couleurs aussi aciiiiiid que la musique qu'elle écoutait alors. Peut-être aussi parce que Siouxsie a perdu le truc ou que j'ai perdu le truc avec elle, allez savoir, puisque son album solo Mantaray, sorti en 2007, pourtant réussi, n'a pas trouvé grâce à mes oreilles. Parmi mes regrets, restera aussi toujours celui de ne pas l'avoir entendu entonner une chanson de Massive Attack dont elle aurait, me semble-t-il, été une magnifique interprète ; pourquoi Massive Attack, dans leur exploration des grandes voix des eighties, ne l'ont pas choisie, je n'en sais rien. Il suffit pour s'en convaincre d'écouter cette chanson que j'avais totalement zappée, pourtant très belle, et sur laquelle je suis tombée par hasard en faisant quelques recherches pour ce post. Deux icônes pour le prix d'une : c'est ce que dit le texte qui accompagne cette vidéo et c'eut pu être l'argument publicitaire sur la pochette du disque. Soit, donc, Morrissey et Siouxsie qui avec Interlude annonçaient avec deux ans d'avance le duo Nick Cave & Kylie Minogue.



Toujours en faisant des recherches pour ce post, je suis tombé sur cette photo de Siouxsie prise lors des Q Awards en 2011.


C'est un peu comme tomber sur une vieille copine et sourire en se disant que celle là, décidément, elle ne changera jamais, malgré le temps qui passe. C'est sourire avec tendresse. Comme on sourit à sa soeur.

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