samedi 23 février 2013

L'air de rien

Ce doit être très compliqué, quand on fait de la musique lounge, de savoir à quel moment on s'est trop affalé. Lounge, c'est précisément cela en anglais : s'étendre paresseusement. Mais à quel moment la paresse s'installe-t-elle dans votre musique ? Ou le mauvais côté de la paresse ? Que la musique vous invite à paresser, soit, mais qu'elle finisse par paresser elle même en est une autre. Est-ce que la paresse à laquelle invite la musique lounge amène aussi l'ennui ? Et si oui, à quel moment exactement ?Toutes ces interrogations me sont dictées par le goût de plus en plus prononcé (ça fait un moment que je l'ai entendu mais, le réentendant ce matin, je me disais encore que c'était vachement bien) pour le deuxième single de Tomorrow's World, Pleurer et chanter. Et même si ce nom ne vous dit rien (ce qui est logique à ce stade d'une carrière débutante - l'album est pour le 8 avril), vous allez, si vous n'êtes pas trop bouché, reconnaître aisément la patte d'un des deux musiciens de ce duo.



Oui, la moitié masculine du duo mixte Tomorrow's World est aussi une moitié d'un autre duo nettement plus connu : Air (et pour ceux que ça intéresse, la moitié féminine du groupe, Lou Hayter, joue des claviers dans un petit groupe anglais prometteur mais qui n'a jamais dépassé le stade de la promesse, New Young Pony Club). Pour être précis, il s'agit de Jean-Benoit Dunckel que Nicolas Godin, après un premier single réalisé en solo, avait invité très vite à rejoindre Air. C'est curieux car sur la foi de ce premier single, Modular mix, j'avais plutôt tendance à attribuer la paternité du son Air à Nicolas Godin.



A ma décharge, j'ajoute que Jean-Benoît Dunckel avait sorti un album solo en 2006 sous le nom de Darkel qui ne m'avait guère convaincu. Or, avec Tomorrow's World, Dunckel retrouve exactement la formule de ce qui me plaît dans Air. Un truc très éthéré, une flagrance très volatile mais qui laisse une empreinte, comme un parfum qui n'en finit plus de vous envoûter. C'est justement le problème des derniers albums d'Air : des trucs similaires mais qui ne laissent, à la fin, que peu de choses auxquelles vous raccrocher. Pour parler du dernier en date, Le voyage dans la lune, paru l'année dernière, j'avais été, comme beaucoup de critiques, plutôt convaincu. Mais convaincu ne veut pas dire emballé et en l'occurrence, après une écoute, j'avais non seulement tout oublié mais de plus je n'avais aucune envie d'y revenir. Ce fut d'ailleurs le cas de beaucoup, l'album n'ayant trouvé sa place dans aucun des best of de l'année 2012 qui m'ait été donné de lire. Pourtant à une époque, les disques de Air m'étaient indispensables. L'inaugural Moon Safari avait laissé le tube Sexy boy, mais bien plus, pour moi, cette ambiance pastorale à laquelle Beth Hirsh contribuait de sa jolie voix sur You make it easy et le somptueux et cotonneux All I Need.



J'avais été d'autant plus convaincu par la bande originale de Virgin Suicides que Playground Love, son single, était le premier descendant réellement à la hauteur d'Everybody's got to learn sometimes des Korgis, chanson dont j'ai déjà dit, ici, le plus grand bien et qu'Air, me semble-t-il (l'ai-je lu quelque part ?) avait en tête au moment de sa composition.



Et je trouvais que Air était définitivement devenu un grand groupe avec son troisième album 10000 Hz Legend. Ce n'était d'ailleurs pas un hasard pour moi si Nigel Godrich, le producteur de Radiohead, en avait signé la production et si Beck était venu les rejoindre sur un ou deux morceaux. Cela signifiait qu'ils n'étaient plus les petits frenchies considérés comme des anomalies dans le paysage mondial musical (depuis quand les Français font de la bonne musique !? Ben, depuis Air justement) mais comme de vrais musiciens capables de tutoyer les plus grands. Il y a, d'après moi, sur cet album, quelques uns des meilleurs morceaux du groupe comme How does it make you feel, Lucky and Unhappy et surtout Don't be light. Je dis surtout parce que on peut, un peu vite, considérer Air comme un groupe à la musique aussi légère que le nom qu'il se sont choisis. Mais avec Don't be light, ils s'avéraient également aussi essentiel, aussi vital que leur nom. Don't be light comme un mot d'ordre auquel ils obéissaient pleinement (et pour réellement s'en rendre compte, je recommande la version intégrale de la chanson sur leur album et non la version single du clip ci-dessous, clip nonobstant très, très réussi).



Les deux albums suivants sont encore très réussis même si je préfère Talkie Walkie en 2004 à Pocket Symphony paru trois ans plus tard. Et il ne faut pas oublier dans cette liste, l'album de Charlotte Gainsbourg, 5:55. C'est  le très bel écrin qui pouvait justifier le retour de Charlotte Gainsbourg à la chanson. Toutefois le réduire à un album d'Air serait trop simple tant l'interprétation y est magnifique. C'est vraiment une rencontre entre deux univers se sublimant l'un l'autre, disons autant un album du groupe que de la chanteuse.



C'est après que ça se gâte. A partir de l'album Love 2, suivi donc de ce Voyage sur la lune. Pourtant les ingrédients sont les mêmes. Alors qu'est-ce qu'il manque ? Quel est ce truc invisible, indicible, ce soupçon de je-ne-sais-quoi, ce petit rien qui fait tout et qui n'est plus là alors même qu'il est à nouveau à l'ouvrage dans Tomorrow's World, ou, tout du moins, dans ce morceau de Tomorrow's World ? Tentons une explication : la passion, voilà ce qui manque. Cette envie, ce besoin de faire de la musique ensemble qu'avait Air au début de leur carrière et qui s'est sans doute transformé en habitude. Et l'habitude use un couple. Avec Tomorrow's World, Jean-Benoit Dunckel retrouve la flamme. Comme la promesse d'un nouvel amour. Vous savez ce moment au début d'une relation où l'on sent son coeur gazouiller, où l'on se dit que tout est possible, que l'on peut, que l'on veut tout explorer. Pour qu'Air existe encore, il faudra que la flamme revienne. Et peut-être reviendra-t-elle après que cette nouvelle flamme se soit éteinte. C'est bien connu : une flamme s'éteint quand l'Air vient à manquer.

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