samedi 16 février 2013

Ceci n'est pas matériel

Comme souvent, un sujet en appelant un autre, en parlant ici de trésor caché, j'ai immédiatement pensé à It's Immaterial. Ce dont je me félicite puisqu'en vue d'écrire cette bafouille à ce groupe qui le mérite plus qu'amplement, j'ai réécouté leurs deux seuls et magnifiques albums durant les deux derniers jours. Albums que j'avais déjà écouté et réécouté et réécouté et récouté... à de très, très, très.... multiples, nombreuses, innombrables reprises par le passé. En allant chercher de quoi documenter ce post, je suis tombé plusieurs fois sur d'autres posts où l'on parlait du groupe de Liverpool le plus sous évalué, sous estimé du monde. Je suis presque d'accord avec cette assertion. Je précise "presque" parce qu'à mon avis, pas besoin de préciser leur ville d'origine pour affirmer qu'It's Immaterial est le groupe le plus sous estimé, sous évalué au monde. Pourtant It's Immaterial aurait tout pour devenir le groupe culte qu'ils ne sont jamais devenus : soit deux albums parfaits (et plus encore, mais nous n'en sommes pas encore là) qui pourraient nourrir des générations de musiciens. Mais, allez savoir pourquoi, contrairement à The Blue Nile, dont je rappelais ici le sort plus enviable et qui a, aujourd'hui, définitivement acquis ce statut, It's Immaterial, qui a, un temps, partagé le même producteur que The Blue Nile, Collum Malcolm, n'est pas un groupe culte. Ou alors d'un culte dont je serais à la fois le grand sorcier et le seul (ou presque) disciple, ce qui ne suffit pas à faire un culte. Alors tachons de vous convertir, vous les lecteurs, vous les infidèles, mais rassurez-vous, le paradis peut-être atteint aujourd'hui.
Commençons donc par le commencement, ce qui n'est déjà pas simple puisque, si It's Immaterial s'est formé en 1981 autour d'anciens membres du groupe Yacht (et n'allez pas me demander quelle musique faisait Yacht), leur véritable histoire, ou du moins celle que j'ai envie de vous raconter débute, pour une raison que j'ignore, cinq ans plus tard, c'est à dire au moment où It's Immaterial sort son premier album et marque quelques esprits avec le single Driving away from home qui aura les honneurs des charts britanniques.



Ce seul hit les a logiquement inscrit dans la longue liste des one-hit-wonders, une étiquette bien limitative en l'espèce. Déjà, cette petite chanson, sous ses petits airs western un peu facile (la guitare et l'harmonica, sans doute), n'est pas tout à fait comme les autres. Réécoutez les dissonances dans l'intro, presque une marque de fabrique de leur musique, ce n'est pas très commun. Et puis il y a cette espèce de détachement désabusé dans la voix qu'elle soit parlée ou chantée, un truc qui ressemble au son que ferait l'ironie. D'ailleurs, il semblerait que les textes du groupe soient justement plein d'ironie, de wry wit, comme le dit leur note biographique Wikipedia, qu'on pourrait traduire par un trait d'esprit pince sans rire. Je n'ai pas eu besoin de lire les paroles des chansons pour le comprendre juste le titre de l'album, qui est sans doute l'un des meilleurs titres que je connaisse : Life's hard and then you die. Mais bien plus que les paroles, je trouve que cette ironie, ce ton désabusé transpire réellement dans leur son, et particulièrement dans la manière de chanter de John Campbell, la moitié du duo. Ah oui, car vous ai-je dit qu'It's Immaterial, du moins dans la forme qu'ils prirent dès ce premier album, était un duo ? Ce qui leur vaut d'ailleurs dans cette fameuse note Wikipedia d'être comparé à des Pet Shop Boys indies. C'est curieux parce que je me disais, avant d'avoir lu cette note, que cette faculté à faire passer de l'ironie ou ce ton détaché désabusé dans la voix, je ne la connaissais justement que chez Neil Tennant, le chanteur des Pet Shop Boys. Du coup, j'en viens à me demander si ce que vous chantez, les textes donc, influe sur votre voix, pas seulement sur l'interprétation, mais sur la voix elle même. Ca pourrait faire l'objet d'un post passionnant mais je vous rappelle que nous sommes déjà au milieu d'un autre qui ne l'est pas moins (le premier qui baille, je le tape). Reprenons : la comparaison avec les Pet Shop Boys s'échoue sur la qualité de la musique, les Pet Shop Boys aimant flirter avec la vulgarité, voire dépasser franchement la ligne du bon goût (Go West, au secours !), tandis qu'It's Immaterial n'a jamais visé et atteint qu'un but en matière de musique : l'excellence. Le premier album inaugurait la formule avec quelques dissonances donc, cette voix à la fois pince sans rire et touchante, nombre d’instruments comme le violon, l'harmonica, l'accordéon, et autres cuivres le tout sur un tempo plutôt sautillant et quelques espagnolades qui donnent parfois un ton western comme dans The sweet life par exemple.



Mais bien que très appréciable à ce rythme, la musique d'It's Immaterial l'est encore plus quand elle ralentit comme sur Lullaby qui fermait ce premier album et annonçait ce qu'allait être le second.



L'accueil réservé à ce premier album, l'accueil critique bien sûr, sinon nous n'en serions pas là, fut assez bon. Mais donc, le public ne suivit absolument pas. Ce qui fit dire à l'époque à nos deux compères qu'ils avaient été si déçus, précisément, par l'accueil qui fut fait à Life's hard and then you die qu'ils eurent du mal à se remettre à écrire des pop songs. Enfin des pop songs... La structure couplets / refrain n'est pas réellement clair sur Song, l'album qui suivit en 1990, ce qui leur fit dire, aussi et plus tard, que "c'était un suicide commercial mais qui valait définitivement le coup". Je confirme. A vrai dire, c'est très compliqué de choisir une chanson de cet album tant tout est bon dans Song. On pense un peu à The Blue Nile, producteur oblige, pour cette façon de délivrer les titres dans un écrin enveloppant, une atmosphère feutrée. Une mélancolie traverse toutes les chansons où le son est moins acoustique, faisant une part plus belle aux claviers. Le tempo est considérablement ralenti mais It's Immaterial ne se prive pas de jolies calvacades comme dans In the neighborhood que j'ai choisi pour montrer comment leurs obsessions sont toujours les mêmes : des dissonances, une voix mi parlée mi chantée, quelques teintes flamenco. Mais la qualité est montée d'un ton. Et puis il y a ce "Goodbye suburbia / I'm leaving" qui revient en leitmotiv à la fin et qui me touche particulièrement. C'est un peu comme quand on quitte une petite ville de province pour aller dans la grande ville : c'est un soulagement et à la fois un déchirement. Ca ne parle peut être absolument pas de ça, mais c'est en tout cas ce que ça m'évoque.



D'ailleurs, c'est peut-être pour ça que j'aime autant It's Immaterial, c'est parce que l'ambiance qu'ils installent dans leurs chansons résonne comme autant de moments de ma propre vie. Par exemple, c'est très compliqué de faire comprendre le sentiment de tristesse réconfortante qui peut se dégager d'une station balnéaire en automne ou hiver, comme Royan, quand les vagues se déchainent sous un ciel oscillant entre gris clair et gris foncé, quand il ne pleut pas. Or It's Immaterial capte totalement, pour moi, ce truc indicible dans New Brighton in the rain (et désolé pour le son, mais y a que ça sur Youtube, de quoi inciter à acheter l'album...)



Bref, comme vous l'aurez constaté, je n'en finirais plus d'écrire sur It's Immaterial et particulièrement sur ce Song, puisque si l'histoire a conservé une toute petite trace du premier album, une toute toute petite, elle n'en aura conservé aucune du second qui pourtant le méritait tant. Enfin non : qui le mérite tant. Car l'histoire ne s'écrit pas qu'au passé. Comme souvent de vieilles obsessions viennent percuter mon présent et c'est ainsi qu'en préparant ce blog, j'ai appris qu'il y avait un troisième album d'It's Immaterial qui n'est jamais sorti, House for sale. Mieux, en 2011, It's Immaterial s'est manifesté en postant plusieurs nouvelles chansons (extraits de House for sale pour certaines) sur le Web, notamment sur son Soundcloud. En voici deux qui prouvent qu'ils n'ont absolument pas perdu la main.





Peut-être ne vous ai-je pas du tout convaincu de l'intérêt quasi vital d'It's Immaterial. Peut-être ça n'est que moi. Mais vous ne pouvez pas savoir ce que ça m'a fait d'apprendre que, des années après, John Campbell et Martin Dempsey continuent à se voir chaque semaine et à faire de la musique ensemble. J'espère que ça leur fait autant de bien qu'à moi de les écouter. Ce qui pose la question de savoir pour qui vous faites de la musique : pour vous ou pour l'(éventuel) auditeur. Les deux, mon capitaine. Car de la même façon que j'écris pour moi, j'aime me savoir lu. Et aussi agréable que doit être de faire de la musique, ce doit être terrible de penser qu'on n'est pas écouté. Un sentiment doux amer, une impression qui berce la musique d'It's Immaterial.

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