vendredi 8 février 2013

Boule à facettes

Depuis les débuts de ce blog, je tente de comprendre ce qui fait de vous l'auditeur que vous êtes, ou, plus spécialement, ce qui fait de moi l'auditeur que je suis. De la même façon qu'on peut avoir des goûts ou des dégoûts très particuliers, le regard ou l'oreille qu'on porte sur des artistes passe-partout peut aussi être intéressant. Quand je dis passe-partout, il faut le prendre au pied de la lettre. L'artiste qui passe partout, c'est la star planétaire à laquelle vous ne pouvez avoir échappé. Et si vous ne faites ni partie du fan club, ni du club des anti, alors votre avis m'intéresse. Prenons une de ces stars. Elles ne sont pas légion : pour faire partie du lot, il faut avoir enchaîné une série de gros succès sur au moins deux décennies, à mon avis. Parce que des vedettes qui les enchainent sur quelques années, il y en a à la pelle. Des stars qui font ça sur plusieurs décennies, il y a Madonna. A force de parler de ses looks, de ses scandales, bref de ses stratégies pour rester au top, on en oublierait presque la musique. C'est d'autant plus curieux qu'elle en a fait, historiquement, son premier atout. Je vous invite pour vous en convaincre à observer la pochette de son premier single sorti en 1982 : Everybody.


Madonna n'est nulle part. Il s'agissait en fait, pour la maison de disques, de faire croire à une artiste black. D'où son absence sur la pochette. Mais rien que ça en dit long sur le jugement qu'avait alors les patrons de Sire qui l'avaient signé sur la qualité, à défaut de la chanson, au moins du chant de la Madonne. Evidemment la situation allait s'éclaircir avec le clip.




Everybody n'est ni une mauvaise chanson, ni un chef d'oeuvre. Plutôt un petit truc malin pour le dancefloor ; si j'ai quelques réserves sur le couplet, le refrain est imparable et les claviers vintage sont quand même très bien foutus et très catchy. Aux Etats Unis, la chanson ne rentra pas dans le Bilboard 100 (l'équivalent de notre Top 50 mais avec 100 titres si vous préférez) mais fit n°3 dans le Billboard club et montra clairement la voie à Madonna : celle de la musique dance. Ca peut paraître prétentieux de dire que j'ai découvert Madonna avec ce single mais c'est vrai : il y avait à la radio où je bossais un copain qui était bien plus passionné de funk que je ne l'étais et qui adorait ce titre, que je trouvais mignon et gentil, comme à peu près toute la musique de ce répertoire à l'époque. Et c'est sans doute pourquoi je ne me suis pas intéressé plus que ça à sa musique par la suite. Je n'ai connu de l'inaugural album Madonna que ses hits Holiday et Lucky star, qui, en quelque sorte exploitaient le filon. Quant à l'album qui fit d'elle une star, Like a virgin, je le trouve tout bonnement insupportable. Pourtant j'étais très enclin à l'apprécier vu qu'il était produit par Nile Rodgers, de Chic, que je vénérais pour ses productions, dont celle, je l'ai déjà écrit, très controversée pour le Let's dance de Bowie, la raison, d'ailleurs, pour laquelle Madonna l'engagea pour l'album. Je trouve que c'est balourd, je n'aime pas le son des synthés, ni l'interprétation de Madonna. Sauf Love don't live here anymore, justement parce qu'elle y chante bien et que la chanson est belle, même si c'est une reprise. Je préfère largement la Madonna suivante, celle de Into the groove qui renouait précisément avec le son des origines. Sauf que là, il n'y a plus rien à jeter : refrain, couplets, pont, tout est parfait, une vraie bombe des dancefloors.



Si j'ai moins d'antipathie pour True blue, je ne trouve toujours pas le résultat très intéressant. La chanson titre et Papa don't preach m'exaspèrent et le reste me laisse indifférent. La véritable aventure musicale de Madonna (il faut toujours lire mon aventure musicale avec Madonna, mais je ne vais pas le répéter à chaque fois), c'est l'album Like a prayer. J'avais eu l'album par hasard, gagné dans un concours, mais il m'avait vraiment passionné. Bien sûr il y a des moments plus faiblards mais il y a quand même un paquet de très bonnes chansons : des tubes de qualité comme la chanson titre et Express yourself, et des chansons moins connues mais qui n'en demeurent pas moins passionnantes que ce soient le très Beatlesien Dear Jessie, la sublime ballade Oh father, l'ovni Act of contrition et bien sûr le duo grâce auquel elle allait devenir crédible pour un paquet de gens : Love song. Parce qu'il était co-signé et co-interprété par Prince, celui-ci, alors éminemment respectable, adoubait, d'une certaine façon, Madonna, prévenant en quelque sorte : "attention, il y a aussi de la musique ici".



L'album Like a prayer est d'autant plus important qu'il m'a permis de supporter tout ce qui allait suivre. Car à part sa collaboration avec Lenny Kravitz, le temps du très réussi Justify my love, les deux albums suivants sont de vraies catastrophes, des accidents industriels, Erotica ne tenant que par la controverse du livre de photos qu'elle fit à l'époque (nous ne sommes donc plus, clairement, dans le registre musical) et Bedtime stories ne tenant par rien, pas même sa collaboration avec Björk sur le morceau titre. Sans doute parce que la musique passait alors au second plan pour Madonna, trop occupée à gérer son image, son business, ses tournées, son lancement (sans cesse raté) au cinéma : autant de considérations bien peu musicales. Et c'est précisément quand elle s'est remise à  la musique qu'elle est redevenue passionnante. Car Madonna a de bonnes oreilles. Quand est sorti Frozen, cela faisait déjà un moment que l'album Hinterland de Strange Cargo tournait en boucle chez moi.



C'est sans aucun doute ce même album, pourtant peu connu, qui a convaincu Madonna de s'associer à William Orbitt, le musicien derrière Strange Cargo. Et quelle association ! Je suis tombé totalement amoureux de Frozen et ai encore les poils qui se dressent quand j'entends l'intro de ce morceau. En fait, c'est sans doute le son qu'aurait du avoir sa collaboration avec Massive Attack si celle ci avait été fructueuse et non pas qu'anecdotique comme ce fut le cas de la reprise de Marvin Gaye, I want you, réalisée trois ans plus tôt. Les violons, l'ambiance, tout est là ; sauf que c'est donc à un musicien inconnu qu'elle le devait, ce qui est assez logique, puisque William Orbitt avait tout à prouver et allait donc tout donner pour que sa collaboration soit réussie, tandis que cette nouvelle collaboration n'avait déjà plus rien d'essentiel pour Massive Attack qui avait déjà montré, ailleurs et mieux, ce qu'ils savaient faire.



Si je trouve que Ray of light est un vrai tournant dans la carrière de Madonna, c'est parce que, pour la première fois, elle faisait un album cohérent où aucun morceau ne fait tache. Et comme la musique passait enfin au premier plan, elle allait, qui plus est, enfoncer le clou avec l'album suivant, enchainant pour la première fois, deux très bons albums. Music n'a rien à envier à son prédécesseur. Surtout il installait Madonna dans une stratégie que j'appellerais de recherche : pas le nez en l'air à renifler l'air du temps, mais bien plus à prospecter les talents et donc le son de demain. Franchement, qui, à part elle, aurait parié un kopek à l'époque sur Mirwais ? Pourtant c'était le bon cheval aussi bien capable de larguer une bombe dancefloor comme Music que d'écrire d'excellents titres, instant classics, comme l'impeccable Don't tell me.



Tant pis si l'album suivant, American life, n'était pas à la hauteur ; Madonna avait déjà marqué tellement de points avec ce coup double. Qui plus est, American life n'est pas un mauvais album. Juste moins bon, plus ordinaire, moins attachant. Mais si, objectivement, on peut désigner Ray of light ou Music, comme le meilleur album de Madonna, c'est très subjectivement que je remets ce titre à Confessions on a dancefloor où, là encore Madonna était allé chercher l'inconnu Stuart Price. Inconnu du grand public mais connu du petit cercle de privilégiés dont j'étais qui avait adoré ses albums sous l'étiquette Les Rythmes Digitales. Rythmes Digitales qui restent pour moi synonyme de Sometimes, un titre que j'ai du écouter un demi milliard de fois, qui revisitait bien avant l'heure (c'était en 1999) les années 80, allant même jusqu'à faire de... Nik Kershaw le vocaliste de cette chanson.



Cette association s'annonçait donc sous les meilleures auspices mais elle dépassa toutes mes attentes. Parce que dans Confessions on a dance floor, Madonna ne rencontre pas seulement la musique électronique, qui lui livra ses plus beaux moments musicaux ; elle la rencontre sur le dancefloor, dans son élément. Résultat : il n'y a pas un seul morceau faiblard sur cet album : absolument tous les titres auraient pu sortir en single. Evidemment, on peut trouver Hung up, un peu facile, accroché qu'il est à un gimmick malin, le sample du Gimme, Gimme, Gimme d'Abba. Mais ça marche. Et puis surtout, les morceaux même s'ils semblent légers révèlent une vraie profondeur. Tout est dans le titre : confessions on a dancefloor. Mais là, comme souvent, je ne parle pas du texte mais de la musique qui n'en finit pas de me charmer écoute après écoute. D'ailleurs, Hung up n'est qu'une parenthèse, un rêve éveillé, même si elle met dans l'ambiance. Le morceau sur l'album se termine par le bruit d'une trotteuse qui enchaîne directement, sur la plage deux, avec une sonnerie stridente façon réveil matin. On sonne l'alarme : c'est là que les choses sérieuses commencent. Et bien plus que Hung up, c'est ce deuxième morceau Get together qui m'a ferré.



Sous ces apparences légères - parce que tout ce qui fait danser a des apparences légères - Confessions on a dancefloor est un vrai concept album, où toutes les chansons s'enchainent, un album de dance music sur la dance music. C'est ce qu'on fait de mieux avec Madonna : enchaîner ses tubes par un DJ en boîte sauf qu'ici, c'est Madonna qui s'y colle. C'est elle qui les enchaîne, c'est elle, la boîte. Ce n'est pas compliqué de comprendre pourquoi Madonna a totalement changé de tactique après cet album : il suffit d'aller voir le classement de ses singles aux Etats Unis sur la page Wikipedia consacrée à ses singles. On y constate que Music fut son dernier n°1 aux States où Hung up, pourtant n°1 partout dans le monde, n'a réussi là-bas qu'à se hisser à la septième place. Or Madonna presque autant qu'une artiste (plus, diront beaucoup) est une business woman. Le business n'étant plus ce qu'il était outre Atlantique, il a fallu le relancer en abandonnant les petits Européens et en allant s'adonner à des plaisirs plus américains. D'où 4 minutes en duo avec Justin Timberlake et produit par Timbaland. Mais, contrairement à ce qu'elle avait fait jusqu'alors, Madonna ne donnait plus le mouvement ; elle le suivait.  Elle essayait de ranimer des souvenirs avec la pochette prétendument provoc et réellement laide de Hard Candy au son putassier. J'ai cru, l'année dernière, qu'elle pourrait peut-être retrouver de sa superbe grâce à Martin Solveig, qui sait parfois avoir le sens de la formule, comme lorsqu'il s'associe à Thomas Mars de Phoenix pour The night out.



Malheureusement Martin Solveig n'est pas constant et si Gimme all yur luvin a pu faire illusion cinq minutes, c'est précisément le temps qu'a duré le charme de la chanson qu'il avait fait pour Madonna et j'ai fini par carrément jeter à la poubelle l'album MDNA que j'avais téléchargé. Je ne sais pas si Madonna pourra rebondir. Bien sûr, l'un de ses plus grands talents jusqu'à présent est d'avoir toujours su, justement, rebondir. Mais Madonna est (était ?) une reine des dancefloors. Je me rappelle quand je sortais en boîte, adolescent, avoir regardé avec une certaine condescendance les gens qui avaient dépassé la quarantaine ; qu'est-ce qu'ils venaient faire là ? Etait-ce vraiment leur place ? Plus tard, lors des raves, la donne avait changé : on croisait aussi bien des ados que d'anciens punks, bien plus âgés, et tous ces gens là communiaient la main dans la main, les yeux chargés, tout en sautant en l'air. L'âge ne comptait plus et je me dis que ce n'est pas un hasard si Madonna connut son firmament artistique grâce à des artistes qui venaient peu ou prou de cette scène, alors qu'elle n'était plus une petite jeunette. Mais la scène rave, c'était il y a des années, un siècle, et j'ai l'impression que l'on est revenu à une époque nettement plus conformiste où l'on a recreusé le fossé des générations et où, du coup, sur le dancefloor, occupé par les jeunes gens, les plus vieux ayant décidé de se rassoir, on a du mal à supporter les gesticulations de la vieille dame indigne et un peu embarrassante qu'est devenue Madonna. Il faudrait qu'elle se réinvente. Mais où ? C'est bien là le problème car Madonna, malgré ses innombrables changements de look, ses nombreuses incarnations, réincarnations, ses multiples facettes, n'a jamais eu qu'un seul domaine, celui de la piste de danse. Un lieu où aujourd'hui, et jusqu'à nouvel ordre, elle ne semble plus la bienvenue.

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