Fut un temps où il y avait les faces B. Soit, allais-je écrire, la face un peu malaimée. Sauf qu'à la réflexion... Si l'on prend les choses par le commencement, face A et face B ramènent donc à l'équation du vinyle, et plus encore, du 45 tours. Or la face A, c'était le tube, la face qui prenait le soleil tandis que l'autre se retrouvait la face collée à la platine, cachée, dans l'ombre. Mais si la face A était destinée à la gloire, au grand public, il n'en reste pas moins que la face B était la face où se réfugiaient les curieux, les vrais fans de musique. On y mettait d'ailleurs généralement des curiosités : des choses qui ne rentraient pas forcément dans le répertoire usuel de l'artiste, qui avaient donc bien du mal à se loger sur un album mais qui n'en était pas moins un des visages dudit artiste. C'est un peu comme grimper une montagne par la face nord. C'était aussi un temps béni où vous pouviez choisir : aujourd'hui, quand un artiste sort un nouveau single, comme son nom l'indique, ce n'est qu'un seul titre sous forme de fichier son qui parvient aux radios. Pas question de choisir, on a choisi pour vous. A tort ou à raison. A tort car j'ai récemment appris, par exemple, que Ain't no sunshine, le sublime classique de Bill Withers était une face B. Et ce sont les DJs qui ont préféré programmer cette face plutôt que Harlem en face A. Qui les en blâmera ?
Mais bon, si cet exemple montre que le vrai trésor était en face B, force est de constater que ce n'était pas le plus souvent la règle. On pouvait s'attacher à des morceaux en face B mais comme on chérit une petit chose fragile, un être à part. Prenez So de Soft Cell que j'ai tant aimé que j'en ai fait le générique d'une de mes émissions quand je faisais de la radio libre : c'est un titre instrumental. Un très bon titre instrumental, assurément, si l'on tient compte du fait que des années plus tard, j'ai retrouvé ce titre mixé au milieu d'autres morceaux électroniques, mais instrumental seulement. Il prive donc de la voix de Marc Almond qui était la moitié de Soft Cell. Bref, ce n'était représentatif que d'une moitié de Soft Cell, en l'occurrence Dave Ball, les claviers de Soft Cell. Le morceau annonce d'ailleurs clairement ce que Dave Ball allait faire plus tard, dans les années 90, avec The Grid, des morceaux comme Higher Peaks. Ne me demandez pas, en revanche, ce que représente la vidéo ci-dessous de So, je n'en ai fichtrement aucune idée mais elle présente l'avantage, eh bien d'avoir le titre en bande son.
Toutefois, il existe deux face B que je chéris plus que tout au monde, sans lesquels mon monde de musique ne serait pas tout à fait le même. Ce ne sera pas une surprise pour les lecteurs habituels de ce blog d'apprendre que l'une d'entre elle est signée Kate Bush. En 1985, le premier single du fabuleux Hounds of love, est le non moins fabuleux Running up that hill. Mais, si j'ai le plus grand respect pour cette chanson, que dire alors de la face B, Under the ivy. Sous le lierre donc, ce qui, d'une certaine façon ramenait à l'album précédent, The dreaming, et à sa pochette, où plus exactement le dos de la pochette (déjà une histoire de face B!) où les titres apparaissaient sur fond de lierre. Kate Bush a expliqué que cette chanson racontait juste ce qu'elle chante : l'histoire de quelqu'un qui se retire de la fête, pour aller vers un lieu secret. C'est nostalgique, continuait-elle, parce que c'est peut-être la dernière fois qu'aura lieu ce rendez-vous secret. Malgré les explications, je continue à me dire que c'est une chanson pour ses fans à qui elle aimerait tant donner, sans doute, rendez-vous chez elle, dans ce manoir que j'imagine recouvert de lierre et où elle enregistre ses albums. Un peu comme si elle indiquait la route. Je sais qu'elle chante : "It wouldn't take me long / To tell you how to find it" mais pour moi, c'est comme si elle chantait "It wouldn't take me long / To tell you how to find me". Et ça rend la chanson éminemment personnelle, tant pour elle, que pour moi le fan. Evidemment tout ça ne serait rien si le texte n'était servi par une mélodie exceptionnelle servie par un piano et une voix d'une rare intensité.
La deuxième face B qui relève du miracle est beaucoup plus surprenante pour moi également. Je veux dire qu'elle m'a surprise quand je l'ai découverte car je ne m'attendais pas à ça après ce que j'avais écouté en face A. C'était en 1987, le duo, composé des frères Kane, Hue and Cry, sortait l'un de ses premiers titres, I refuse, une pop un peu sophistiquée (j'ai appris qu'on dit sophisti-pop, qu'il y a une étiquette pour ça, ce que je trouve dans un même élan, fascinant et consternant) mais gentille. Or, en face B donc, il y avait ce morceau, Joe and Josephine, que je trouvais immédiatement grandiose, la voix me filait des frissons, le piano, les nappes de synthé un peu plus loin, tout s'agençait magnifiquement bien. Tout s'agence magnifiquement bien car je suis toujours totalement fou de cette chanson qui fait partie de ces petits trésors cachés que je ne veux pas cacher d'avantage, d'où ce blog, tant caché, en la matière, ce serait gâché. J'étais tellement fou de cette chanson que je me suis précipité sur le premier album de Hue and Cry, car, pensais-je, le groupe qui l'avait écrite ne pouvait me réserver que de bonnes surprises. La vraie surprise, c'est qu'il n'y avait rien de vraiment bon sur l'album de Hue and Cry. Au point que j'en suis aujourd'hui à me demander ce que représentait cette chanson pour le duo : un truc à part, certes, mais l'ont-ils mis en face B parce que c'était seulement à part, ou, parce qu'ils trouvaient ça moins bon ? Je me demande ce qu'aurait été la carrière de ce groupe s'ils avaient décidé de creuser ce filon. Ils ont décidé d'exploiter une autre mine où, pour ma part, je n'ai trouvé aucune pépite. La face B, c'est peut-être ça : des mines qu'on a décidé de ne pas exploiter. peut-être parce que ce n'est pas assez rentable. Pourtant pour une chanson comme ça, je donnerais bien tout l'or du monde.
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