jeudi 7 février 2013

Tenue des grands soirs

Il y a quelques jours je suis tombé sur cet article du Guardian sur une expo qui a lieu en ce moment à Londres. Le peintre Nicola Tyson montre pour la première fois une série de photos qu'il avait prises alors qu'il n'avait que dix-huit ans lorsqu'il sortait aux Bowie Nights du Billy's Nightclub de Soho. Ces soirées précédèrent celles plus connues du Blitz nightclub où l'on pouvait croiser à la toute fin des années 70, début des années 80, tous ceux qui allaient connaître des gloires éphémères ou non dans les années suivantes et qu'on allait ranger pour la plupart sous l'étiquette Nouveaux Romantiques. Les Blitz Kids, comme on les a aussi appelés, ont fait l'objet d'une pièce de théâtre, Taboo, écrite par Boy George, sans doute le plus connu des Kids en question. Mais il y avait aussi, par exemple (en fait pas donné au hasard mais simplement parce qu'il me serait impossible de les caser après) les Spandau Ballet, qui, avant bien avant de pondre l'insupportable True, ont su faire de très bonnes chansons très catchy comme To cut a long story short en 1980.



On voit bien dans cette vidéo que ce qui comptait alors autant que le son, voire plus, c'était l'image. Si ces Kids se revendiquaient de Bowie, c'était autant pour l'aspect visuel que pour l'aspect musical. David Bowie, lui même, ne s'y est pas trompé, qui est allé traîner ses guêtres au Blitz afin d'y recruter les figurants de la vidéo d'Ashes to ashes, mais aussi d'y trouver quelques idée pour son look d'alors.



Au nombre des figurants d'Ashes to ashes, il y a Steve Strange qui n'avait pas encore connu la gloire avec Visage. Steve Strange était l'une des figures majeures des Bowie nights ; on le voit sur plusieurs photos de Nicola Tyson. J'en ai choisi une (allez voir les autres sur l'article du Guardian) où l'on voit pourtant deux stars bien plus mineures, dans tous les sens du terme, Jeremy Healy (à gauche) et Andy Polaris (au centre).


Sur la photo on leur donne à peine seize ans, ce qui, à deux, trois ans près, doit justement être leur âge. Ca fait aussi bizarre que de regarder une de ces vieilles photos dans nos albums ou dans la boite à chaussure qu'on avait oublié au grenier, où on se cherche encore, où la longueur de cheveu, de pantalon ou autre, l'attitude, la qualité de la peau, du look, la prise en main de la clope au bec sont plus qu'approximatives, pour ne pas dire embarrassantes. On se demande : "Mais qui c'était déjà, lui ?" (en l'occurrence, le troisième sur la droite dont le photographe a oublié jusqu'au nom). Une chose est sûre : ce sont de vrais branleurs. Pourtant ce sont eux qui vont prendre le pouvoir quelques années plus tard. Ce sont eux qui vont prendre les rênes de la pop. Ce sont eux qui vont dominer le monde. Andy Polaris deviendra le chanteur d'Animal Nightlife, petit groupe entre jazz et soul qui eut quelques touts petits hits (comme Mr Solitaire). Jeremy Healy m'a bien plus intéressé avec son pourtant très éphémère groupe Haysi Fantayzee, duo responsable d'un seul album, le toujours euphorisant Battle hymns for children singing dont est tiré le sautillant et mini tube Shiny shiny en 1983.



Après avoir été cet improbable chanteur qui accusait Boy George de lui avoir piqué son look, Jeremy Healy est devenu un DJ très célèbre allant notamment collaboré avec de grands couturiers pour signer la bande son de leurs défilés. L'autre moitié du groupe, la très belle Kate Garner devint elle une photographe de renom signant quelques belles pochettes de disques (on lui doit notamment celle du Lion and the Cobra, le premier album de Sinead O'Connor) et autres contributions pour magazines de mode. Très anecdotiquement, mais en même temps pas tant que ça, elle apparaissait aussi, en 1983, dans le clip de Who's that girl de Eurythmics, aux côtés des Bananarama ou de Marilyn (créature qui fut en blond, le succès et l'intelligence en moins, ce que Boy George fut en brun), autres figures des Bowie Nights.



Cela montre juste que ce petit monde se fréquentait, s'appréciait (plus ou moins, ça va de soi), se stimulait, chacun cherchant sans doute autant à impressionner son voisin qu'à faire un hit single (de toutes façons, ils ne pensaient pas encore aux hit singles au temps des Bowie Nights du Billy's Nightclub). Un vrai bouillon de culture, musicale s'entend. Et de cette saine (enfin saine... sex, drugs and rock'n'roll quand même !) émulation ressortit un bon paquet de la pop music du début des eighties, et, mine de rien, un bon paquet de chansons que je porte encore aujourd'hui aux nues. Mais, à force d'envisager l'image comme leur force motrice, je pense qu'on a précisément oublié que nombre de ces groupes faisait aussi de la bonne musique. Prenons Steve Strange qui fut le premier de toute cette prolixe galerie de personnages haut en couleurs à s'embarquer dans une aventure musicale, celle de Visage. Steve Strange était précisément le "visage" de ce supergroupe qui rassemblait des membres d'Ultravox et de Magazine. Mais bien qu'intéressante, je n'ai jamais été passionné par la musique de ces deux groupes comme j'ai pu l'être par celle de Visage. Evidemment, il y a Fade to grey, mais c'est l'arbre qui cache la forêt, ou plutôt le single qui cachent deux albums de toute beauté, Visage en 1980 et The anvil en 1982, dont est extrait The damned don't cry.



Deux ans après The anvil, il y a eu un dernier album de Visage mais les membres d'Ultravox et de Magazine avaient alors préféré laisser tomber, laissant le seul Strange aux manettes d'un désastre. Le seul talent de Steve Strange, outre celui d'avoir trouvé l'image qui correspondait pile poil à son temps, était d'avoir su fédérer ces musiciens dans ce projet, les stimuler jusqu'à rendre la formule passionnante, comme il avait su, plus tôt, montrer la voie à tous ces jeunes gens des Bowie's Nights dont il était l'une des vedettes incontestées. Mais, comme souvent, ce ne sont pas ceux qui sèment qui récoltent les fruits. Car si Visage n’eut droit qu'à un énorme succès, à l'heure où les membres du groupe de Steve Strange mettaient les voiles, Boy George embarquait pour la gloire avec Culture Club. C'est somme toute assez logique car, si la musique de Culture Club est sans doute l'une des moins passionnantes de ce qui sortit de ce lot, elle en reste non moins la plus mainstream, la plus accessible : de la bonne pop music (au moins, là encore, le temps des deux premiers albums) sans chercher à innover dans le son puisqu'ils le faisaient déjà dans l'image, Boy George étant le seul à avoir su durablement imprimer dans l'oeil international la silhouette du typical Blitz Kids. Pas étonnant dès lors, que leur musique ne m'ait réellement touché qu'une seule fois, via un single qui eut son heure de gloire partout, sauf... en France où il n'est jamais sorti. Time (Clock of the heart) était sorti entre le premier et deuxième album et, la France se traînant toujours un train de retard, la maison de disques, ici, avait préféré le zapper. Reste que Time, même si elle est une chanson extrêmement réussie, très classieuse avec tous ses violons, reste de format extrêmement classique.



Pourquoi ces gamins là ? Pourquoi ces Bowie Nights ont-elles su générer le son et l'image du début des Eighties ? Sans doute parce qu'à l'époque, si vous vous sentiez un tant soit peu créatif, un tant soit peu artiste, il n'y avait de meilleur moyen d'expression que... vous même. Ce n'est pas moi qui le dit mais Nicola Tyson, le fameux photographe des Bowie Nights. Il explique qu'il n'est pas devenu un membre important du Blitz qui a suivi, car cela requérait d'être "massivement dévoué à un look". Lui, c'était pas son truc, il était, à l'époque, juste un "mec costume cravate", ce qui, nonobstant, était, pour un type de 18 ans à la fin des années 70, forcément un look. Mais poursuit-il, il gardait tout les trucs un peu bizarre dans sa tête, les ressortant plus tard dans sa peinture. Or, les gamins des Bowie Nights mettaient tous ces trucs un peu bizarres dans leur look. Et, heureux hasard ou instinctif pressentiment, la décennie qui débutait allait instaurer le règne de l'image : Video killed the radio stars, je vous le rappelle. Et MTV, qui naissait et faisait de l'image, allait en toute logique piocher là où l'image était la plus forte. Et d'assoir nos branleurs des Bowie Nights sur le trône de la pop music mondial. Fin du conte de fée. Sauf que la vie, bien sûr, n'est pas un conte de fées, que tout ça ne pouvait durer, et dans les faits ne dura, que quelques années. Car les images avec le temps, même les plus colorées, virent au gris. Mais ça aussi, les gamins des Bowie Nights l'avaient, sans le savoir et dès le départ, anticipé.

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