Juste après avoir écrit ça, je me retrouve sur Arte devant Forever Young, un documentaire plutôt bien fait qui, dans sa première partie, s'interrogeait sur ce qu'il "reste de rebelle dans le rock alors que sa musique et son imagerie sont largement récupérées par la publicité et le marketing" tandis que la seconde, titrée Tweets and chats montraient comment les 15-25 ans utilisent les nouveaux outils pour communiquer. Nouveaux outils comme les réseaux sociaux ou... les blogs ! Suis-je en train d'essayer de communiquer ? Ground countrol to major Tom ? A la fin du premier volet de Forever Young, on rappelait que le rock avait été un objet de rebellion au sein même de la famille quand il était apparu dans les années 50 mais plus d'un demi siècle plus tard, comment pourrait-il en être de même quand papa et maman écoutent les mêmes disques que le fiston, voire papy et mamy. Et de conclure que nous, les parents, étions un peu pathétiques de nous accrocher comme ça (c'était un journaliste anglais qui parlait et son "pathetic" avec l'accent nous fait baisser deux fois plus la tête, un peu honteux), parce que nous ne voulions pas voir partir notre jeunesse. D'une, je n'ai pas d'enfant, ce qui m'excuse, non ? De deux, j'écris aussi pour eux, non ? Alors j'ai le droit de courir encore un peu même si je dois bien dire qu'Arte m'a bien plombé - Arte m'a tuer.
Finalement tout cela m'a ralenti, et, contrairement à ce que j'avais prévu, m'amène à parler de Piramida, le nouvel album d'Efterklang non pas "avant", mais "le jour de" sa sortie. C'est déjà ça ; au moins, donc, je n'aurais pas trop d'avance. Car depuis vendredi, je me gave de cet album et aussi bon soit-il (à mon avis l'un des meilleurs de l'année 2012), je sais que bientôt je me lancerais à la recherche de nouvelles sensations fortes, précisément au moment où Efterklang devrait arriver aux oreilles de la majorité, me privant du même coup d'un élan collectif - mais est-ce ce que je cherche vraiment ? Efterklang est un groupe Danois porté sur l'expérimentation à la manière de Peter Broderick qui a d'ailleurs joué avec les Danois sur scène (et que j'évoquais ici). J'avais bien aimé leur album Modern Chairs paru il y a deux ans mais celui-ci a une véritable atmosphère dûe, sans doute, à Piramida, qui est une île minière désertée par les Russes dans le cercle polaire et dans laquelle Efterklang est parti enregistrer toute une série de sons qui ont accouché de cet album comme on le comprend mieux avec cette vidéo.
Si vous voulez connaître ma véritable opinion sur tout ça, c'est que c'est un peu de la branlette d'artiste parce qu'après tout, taper sur des bouteilles (ou sur des bambous bien sûr, et c'est numéro 1) ou courir sur des lattes en bois, on n'est pas obligé, pour ça, d'aller se taper une île près du pôle Nord. Mais si toutefois, c'est là-bas qu'ils ont croisé leur muse alors pourquoi pas au vu du résultat à essayer par deux fois ci-dessous.
Si tout va bien, Efterklang devrait faire le buzz d'ici quelques semaines. Pas seulement parce qu'ils ont un bon album mais parce qu'ils auront - je leur souhaite - un bon attaché de presse qui saura vendre non seulement le contenu mais surtout l'histoire aux magazines qui vont en raffoler ("Une île désertée par les Russes !? Près du pôle Nord ?! Où ils n'ont pas eu la permission d'aller mais où ils sont allés quand même ? ! Y a un truc à raconter là, coco"). Et après, après seulement et après peut-être, trouveront-ils un écho auprès de vous. Car c'est pas tout d'avoir tout ça, encore faut-il être pertinent dans son époque, je veux dire par là, savoir dire quelque chose au plus grand nombre d'entre nous, et donc au grand public. Prenez Orkney Symphony de Magnetic North. Ca ne dit pas grand chose à grand monde. Pourtant ils avaient tout. Une bonne histoire, celle de Betty Corrigal, jeune femme qui, à la fin du 18ème siècle, se suicida par amour, fut enterrée seule, loin des autres tombes, sur les îles Orcane au Nord de l'Ecosse, où l'on redécouvrit son cercueil par hasard au début du 20ème siècle, son corps miraculeusement préservé. Erland Cooper, le leader de Magnetic North, dit que c'est après qu'en rêve, lui soit apparue Betty Corrigal, qui lui demandait de raconter son histoire, qu'il s'est mis à l'écriture d'Orkney Symphony. Le sujet a tant fasciné Libération qu'ils en ont fait un papier de trois pages signé Bayon. Les Inrockuptibles ont mis 4,5 sur 5 à l'album dans une chronique dythirambique. Et la musique, évidemment, était au diapason de ces éloges.
Quelques mois plus tard et l'on ne peut pas dire qu'Orkney Symphony soit sur toutes les lèvres. Il n'y a pas eu de rencontre même si tous les ingrédients étaient là.
Vous voulez une autre jolie histoire de rendez-vous manqué. En 1998, Louis Philippe sort l'album Azure qu'il est allé enregistré avec l'orchestre philarmonique de Budapest. Louis Philippe est une véritable histoire à lui tout seul : français exilé à Londres, par amour de la pop musique, il fut l'une des figures majeures d'un label aujourd'hui considéré comme l'un des plus influents de son époque, tout en menant une carrière... de journaliste sportif spécialisé dans le football ! Mais, comme il est écrit avec tact dans sa biographie Wikipédia, "le succès commercial se fait attendre malgré l'accessibilité de sa musique et l'estime que les amateurs de pop ont pour lui".
On peut aussi aller écouter et télécharger deux titres extraits d'Azure sur le site de Louis Philippe. Mais ces histoires de magnifiques échecs parfois se terminent bien grâce à un adjectif usé jusqu'à la moëlle ces temps-ci par la publicité qui sait tout le pouvoir du mot, un adjectif que, pourtant, seul le temps peut accorder : culte - alors épargnez moi, svp, les "déjà culte". Car si ces albums ne rencontrent pas tout le monde, ils font, de la part de leurs rares fans, l'objet d'une aussi rare dévotion qui s'apparente à une vraie religion. Et le fan n'aura qu'une idée, convertir l'autre. Et petit à petit, de converti en converti, le cercle s'agrandit, l'album devient culte. D'où ma dernière histoire avant d'aller dormir, les enfants. Elle commence en 1983 à Glasgow quand une boîte du coin, spécialisée en matériel hifi, propose à un groupe débutant d'enregistrer un titre (à découvrir ci-dessous) qui pourrait montrer l'étendue des capacités du matériel de leur marque. Ils sont si contents du résultat qu'ils finiront par créer un label uniquement pour sortir l'album commandé au groupe : A Walk Across The Rooftops de Blue Nile. L'album passe relativement inaperçu mais, donc, touche au coeur les rares qui ont la chance de l'écouter qui n'auront, dès lors, de cesse de partager leur passion.
Et quand sortira, six ans plus tard (!), leur album Hats, les critiques se feront dythirambiques comme si The Blue Nile récoltait enfin le fruit d'une petite graine plantée six ans plus tôt. En même temps, je vais me calmer ; Hats n'est arrivé que 12ème des charts anglais, charts où il connut son meilleur classement. M'est avis que si The Blue Nile a un jour récolté quelque chose de substantifique (niveau matériel s'entend) du culte qu'on leur voue, c'est bien plus grâce à Annie Lennox, dont le premier album solo s'était vendu, rien qu'au Royaume Uni, à plus d'un million d'exemplaires. Et c'est sur cet album qu'on trouve la meilleure chanson d'Annie post Eurythmics, et, très arbitrairement, la meilleure chanson de Blue Nile (même si, ne vous y trompez pas, Paul Buchanan, le chanteur de Blue Nile, est l'une des plus belles voix masculines que je connaisse) : The Gift (appréciez le clip tourné avec 3 fois rien, où une Annie Lennox costumée, perdue au milieu des pigeons vénitiens malgré l'euphorie des touristes qui l'entourent, apparaît plus énigmatique que jamais)
Il faudra que je parle de Eurythmics, tiens. Vous n'êtes pas encore couché ?!
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