J'étais d'autant plus persuadé d'avoir trouvé une artiste dont j'allais tenir longtemps la main (et qui allait tenir longtemps la mienne) que je découvrais que la Suédoise (encore une!) avait sorti ,deux ans plus tôt, un premier album, Memories of a color, que je m'empressais d'acheter pour le trouver aussi beau. Non seulement Stina Nordenstam avait un univers cohérent mais il correspondait à ce que je recherchais alors dans la musique. Las ! Deux ans après notre première rencontre, Stina sortait Dynamite et notre amour d'éclater. C'était d'autant plus cruel que Stina avait pris soin de piétiner notre relation en clamant alors à quel point ses deux premiers albums étaient surproduits et ne lui ressemblaient pas du tout, alors que Dynamite, qu'évidemment, je détestais...
Je devrais me méfier des filles du Nord. Il m'est arrivé, à peu de choses près, la même chose avec l'islandaise, comme son nom ne l'indique pas, Emiliana Torrini dont j'étais tombé sous le charme du Dead things en 1999.
Mon histoire d'amour avec Emiliana allait se poursuivre avec Love in the time of science, son album. D'autant plus que celui-ci était produit par Roland Orzabal, un des deux Tears For Fears, amour de jeunesse perdu de vue (voir ici) et donc, retrouvé, ici avec bonheur : un ménage à trois donc. Hélas, non, Emiliana disant très vite comme elle était malheureuse avec les arrangements de Roland Orzabal qui ne lui correspondaient pas du tout, optant, pour l'album suivant, pour un son beaucoup plus acoustique. Bon, la différence, c'est que Fisherman's woman, qu'Emiliana Torrini sortit en 2005 reste très fréquentable là où j'ai beaucoup de mal à fréquenter Dynamite. Mais bon, là encore, nos routes s'étaient séparées.
Heureusement parmi toutes ces femmes, il en est une qui ne m'a jamais fait défaut : Kate Bush. Kate Bush a donc été l'une des premières artistes que j'ai revendiqué comme ma préférée (voir ici). J'ai toujours adoré Babooshka. J'ai tant adoré Babooshka que j'avais pris mon courage à deux mains (moi le grand timide pour qui s'adresser à la boulangère pour acheter une baguette de pain était déjà un exploit) pour aller à la Discothèque (du nom de l'unique magasin de disques) écouter l'album. Je n'avais en aucun cas l'intention de l'acheter ; je n'avais pas l'argent. Mais il fallait que j'écoute d'avantage ce 33 tours à la pochette quand même sacrément culottée (c'est le cas de le dire) puisque sur le dessin, un tas de trucs des plus fantasmagoriques, sortait de dessous la robe de Kate. Outre les sentiments confus que devaient avoir ces dessins pour un gamin de mon âge, je développais une addiction à Kate avec la deuxième chanson de Never for Ever. La première, donc, c'est Babooshka. Souvenez-vous, la fin de la chanson se finit dans des bruits de verre qui se brisent. Et ce sont ces mêmes bruits qui conduisent à la deuxième chanson Delius, un vrai délice et le véritable départ du chemin que j'allais parcourir avec Kate Bush.
Mon histoire avec Kate Bush ne s'est jamais démentie. Ou à peine. Les chansons pop assez faciles de Never for ever furent une porte d'entrée à la musique. The dreaming, deux ans plus tard, où Kate se barrait vers des sons, précisément, plus barrés, correspondait à la période où moi même allait explorer des musiques disons moins commodes. Et Hounds of love, très subjectivement le meilleur album de tous les temps, est arrivé au cours de l'une de mes meilleures années musicales (voir là). En 1988, je me souviens avoir couru voir Une vie en plus (She's having a baby, en VO) de John Hughes, juste pour pouvoir écouter une nouvelle chanson de Kate. Et peu importe que cette chanson, comme l'écrivait alors les Inrockuptibles, méritait plus un film de Tarkovski que de John Hughes ; à l'époque, je n'avais vu aucun Tarkovski et John Hughes, c'était le réalisateur de La folle journée de Ferris Bueller et de Breakfast Club. Pas encore celui de Maman j'ai raté l'avion. Et je peux vous assurer que j'étais en larmes quand j'ai vu/entendu cette séquence du film.
Même si c'est le climax du film (Kevin Bacon se remémore les bons moments de sa jeune vie de couple alors que sa femme, entre la vie et la mort, accouche), ce n'est bien sûr pas les talents de réalisateur de John Hughes qui m'ont mis dans un tel état. Si talent il a eu, c'est bien celui d'avoir laissé la chanson en entier et de lui avoir laissé le premier plan dans le film. Parce que c'est l'une des plus belles chansons de Kate Bush que j'ai jamais entendues. Et quand c'est tellement beau, ça me touche tellement que j'en pleure. Un an plus tard, j'ai retrouvé la chanson sur l'album The sensual world que j'ai trouvé magnifique. J'avais attendu quatre ans, j'étais récompensé. Quatre longues autres années plus tard, il y a eu The Red Shoes. Et là.... Et là, j'ose le dire, il y a eu comme un accroc dans notre histoire d'amour. C'était agréable de retrouver Kate, ses aigus, ses graves, mais Rubberband girl, le single ne me touchait pas au plus profond de moi, pas plus que la majeure partie des chansons de l'album (et c'est d'ailleurs encore le cas aujourd'hui). Mais, car heureusement il y a un mais, il y avait une chanson, une seule chanson sur cet album qui me fit le même effet que This woman's work : Moments of pleasure.
J'étais d'autant plus troublé que j'avais commencé trois ans plus tôt une nouvelle histoire d'amour avec un homme qui savait alors bien mieux me parler que Kate : Jean-Louis Murat. Kate Bush pouvait s'éclipser (et c'est exactement ce qu'elle fit pendant douze ans !), Jean-Louis Murat prenait le relais et le prenait bien. Je me rappelle de ce concert à l'époque (entre 97 et 99 dirais-je) où fut tournée la vidéo ci-dessous où Jean-Louis Murat à la guitare était accompagné du seul Denis Clavaizolle aux claviers avec, pendant la première partie du concert, la projection d'images en super 8, qui répondait à l'ambiance sonore que Murat installait. C'était tellement beau que j'en avais pleuré pendant tout le concert.
Mais je m'étais trompé. Et sur Jean-Louis Murat, et sur Kate Bush. Parce qu'en 2005, j'entamais ma période de désamour de Murat avec Moscou, l'un des bien trop nombreux albums qu'il enchaîna alors. Qui plus est, il était de ceux qui crachaient alors sur ses premiers albums que j'aimais tant. La même année, mon histoire d'amour a repris avec Kate via l'album Aerial que j'ai trouvé splendide. La encore, sortez les mouchoirs, j'étais en larmes souvent et je vais y revenir. Quand au dernier album de Kate en date, 50 words for snow (attendu pendant six ans seulement !), j'aime m'y réfugier comme dans un cocon, c'est de la ouate au piano qui me réconforte et me fait me sentir bien. Oui, je crois que c'est cela que sait le mieux me faire la musique de mes compagnons de route, et de Kate Bush en particulier, puisqu'elle m'a TOUJOURS accompagné : me réconforter. Me faire me sentir mieux. M'accompagner. Dans Moments of pleasure, comme dans beaucoup d'autres morceaux de sa discographie, Blow away sur Never for Ever, All the love sur The dreaming, ou The fog sur The sensual world, Kate Bush aborde la question du deuil, de la perte. Ces chansons m'ont toujours ému même si je ne les comprenais pas encore de l'intérieur. Je veux dire par là que je n'avais jamais eu à expérimenter la douleur d'un deuil. Récemment, j'ai perdu ma mère. Récemment, j'ai réécouté A Coral Room où Kate chante comme elle se souvient d'une petite chanson que lui chantait sa mère, elle aussi décédée. Et c'est comme si, elle chantait à travers moi ou je chantais à travers elle. Aucun mot ne saura mieux décrire mon chagrin que cette chanson ; pas le texte, hein, mais la chanson toute entière avec ce que me fait ce piano, ce que me fait cette voix. Et encore plus cette instant où après un silence, elle murmure "My mother", deux mots suivis seulement, d'abord, de piano, comme si l'émotion l'emportait et qu'elle ne pouvait pas, immédiatement, reprendre le cours de sa chanson. A ce moment là, j'ai eu l'impression de la comprendre totalement. Ou qu'elle me comprenait totalement. Comme les meilleurs amis du monde, dans la joie comme dans la peine.
Il n'y a pas vraiment de vidéo officielle de A Coral Room, puisqu'il ne s'agit pas d'un single. Mais sur Youtube, on peut trouver une flopée de vidéos non officielles pour ce titre (preuve qu'elle a su en toucher d'autres que moi). Si j'ai choisi celle-ci, c'est sans doute aussi pour la note de Kate Bush qui l'accompagnait et qui n'est autre qu'un extrait d'une interview qu'elle avait donnée pour la sortie de l'album : " The song is really about the passing of time... I like the idea of coming from this big expansive, outside world of sea and cities into, again, this very small space where, er, it's talking about a memory of my mother and this little brown jug. I always remember hearing years ago this thing about a sort of Zen approach to life, where, you would hold something in your hand, knowing that, at some point, it would break, it would no longer be there ".