mardi 5 mars 2013
Les passeurs
Je me souviens, la première fois où j'ai entendu le When I Grow Up de First Aid Kit, m'être dit que j'étais passé à côté de Fever Ray. Fever Ray a signé l'original de cette chanson en 2009 sur un album encensé par la Critique et qui finit, cette année là, dans les meilleurs de l'année dans la plupart des classements. Ca avait beau être synthétique, ça avait beau être Suédois, ça ne me parlait pas et j'avais passé mon chemin. Puis est donc venue cette chanson des toutes aussi suédoises mais bien plus portées sur la guitare First Aid Kit et je me suis dit que j'allais refaire un tour du côté de chez (non, pas Swan, fans indécrottables de Dave) Fever Ray. Rien. Toujours rien (bien qu'aujourd'hui, en réécoutant le titre vers lequel vous renvoie le lien plus haut, je me suis dit que l'original m'était quand même moins antipathique que dans mon souvenir). Il n'empêche que cette chanson avait joué son rôle de passeur et aurait pu me transmettre le virus Fever Ray. Dans le même ordre d'idée et dans un registre pas du tout éloigné puisque suédois et acoustique (mais ça ne s'arrête pas là, loin s'en faut), j'avais eu le même genre de réaction peu après avoir découvert le Heartbeats de Jose Gonzalez. Une découverte due à cette publicité incroyable shootée dans les rues de San Francisco pour un téléviseur. Je doute qu'on se souvienne du téléviseur, à moins d'aller jusqu'à la fin du clip, mais on se souvient forcément des images associées à cette voix fragile et cette guitare sèche.
C'est curieux, je me disais que dans ce cas, c'est une publicité qui avait servi de passeur. Ce qui fait que je ne suis pas du tout du genre à en vouloir aux artistes qui se "vendent" à la pub ; à l'heure où il devient de plus en plus compliqué de passer à la radio ou la télé, ceux à qui on le propose auraient bien tort de refuser une telle fenêtre, une telle exposition. Bref. Revenons à José. C'était un moment tellement beau que je l'attribuais immédiatement à José Gonzalez ; j'étais persuadé que la chanson était de lui. Contrairement à First Aid Kit, dont la version du When I Grow Up était systématiquement accompagnée, sur le Web où je l'ai découverte, de la mention "Fever Ray cover". Or qu'appris-je un peu plus tard sur le magnifique Heartbeats ? Que la chanson était une reprise. Là où ça devient aussi rigolo que récurrent, c'est qu'on doit l'original à The Knife, un duo Suédois éminemment respecté (leur album Silent Shout en 2006 a, par exemple, été élu meilleur album de l'année par le site américain Pitchfork) et constitué d'un frère et d'une soeur, soeur qui fit une aventure en solo en 2009 sous le nom de... Fever Ray. Là encore, je me dis que ça valait bien que j'aille explorer le répertoire de The Knife. Et même mésaventure au final : rien, toujours rien. Mais la reprise avait joué son rôle. Je veux dire par là que ce peut être par l'entremise de reprises qu'on peut découvrir un autre artiste. Ainsi je peux dire que j'ai découvert les Beatles grâce... aux Bee Gees. Bon, faut pas m'en vouloir, ni d'ailleurs en vouloir aux Bee Gees puisque l'initiative du catastrophique, rétrospectivement, Sergeant Pepper's Lonely Hearts Club Band est à mettre au compte de leur producteur de l'époque. Moi, j'avais neuf, dix ans quand le film est sorti et je ne l'ai pas vu. J'ai en revanche très longuement écouté sa bande originale qu'avait acheté ma soeur ainée. Je me souviens même avoir été un peu déçu en découvrant des années plus tard l'album original dans la mesure où toutes les chansons du film n'y figuraient pas et pour cause : la BO était constituée de chansons piochés dans Sergeant Peppers mais aussi dans d'autres albums des Beatles. C'est ainsi, par exemple, que longtemps, Got to get you into my life, extrait de Revolver, a résonné dans ma tête avec les arrangements d'Earth Wind & Fire qui la reprenaient pour le film.
A vrai dire, ce n'est pas loin de là, la pire des reprises qu'on trouve sur cet album. Mais il est clair qu'aujourd'hui, aucune des reprises de cet album ne tient la comparaison avec les originaux. Quoiqu'il en soit, les Bee Gees (ou, en l'occurrence, Earth Wind & Fire) avaient su passer le relais et ont permis d'agrandir mon panorama musical. Bien sûr, j'aurais sans doute découvert les Beatles autrement et sans eux. Mais dans les faits, voilà comment ça s'est passé. Ce n'est pas tout à fait la même chose qu'il s'est passé grosso modo une décennie plus tard quand j'ai découvert l'album Jacques de Marc Almond. Le chanteur de Soft Cell y déclarait son amour du répertoire de Brel le temps d'une douzaine de reprises à une époque où il était encore inspiré. Je connaissais bien sûr Brel dont ma mère était fan ; elle m'a bien assez raconté sa rencontre d'une heure avec Brel dans sa loge à l'issue d'un de ses concerts pour que l'anecdote figure en bonne position dans la mythologie familiale. Mais, et peut-être à cause de cela, Brel, ce n'était pas ma musique. Entendons-nous bien : ce n'est pas que je détestais ses chansons. Simplement, elles ne m'appartenaient pas comme m'appartenaient, par exemple, les chansons de Marc Almond ou Soft Cell. La bonne idée d'Almond, c'est d'avoir repris des chansons relativement méconnues. Et c'est donc à travers lui que j'ai découvert pour la première fois L'éclusier devenu The lockman.
D'un coup, c'est comme si Marc Almond lui même me disait que c'était cool d'apprécier Jacques Brel, qu'il n'y avait aucune raison pour que je n'aime pas, aussi, Jacques Brel. Et je pense à tous ceux, anglais, qui connaissaient forcément bien plus mal que moi Brel et qui ont ainsi pu le découvrir. Et s'enrichir. La reprise peut être une porte d'entrée ; libre à vous d'ouvrir la porte ou de la refermer. Et si les fans du confidentiel CFCF, artiste recommandable d'habitude porté sur l'électro, peuvent découvrir, à travers sa reprise au piano de September, la toute aussi belle version originale signée David Sylvian, et, au delà, l'album magnifique dont il est extrait, Secrets of the beehive, voire tout le répertoire de Sylvian, vous m'en verrez ravi. Faire passer le passé est en l'occurrence un très beau présent.
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